Adolescent, j’étais obsédé par les rogue-likes, et je ne sais toujours pas pourquoi

Adolescent, j’étais obsédé par les rogue-likes, et je ne sais toujours pas pourquoi

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(c) The Binding of Isaac

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Par Konbini

Publié le

Analyse existentielle en trois actes de ma passion pour le jeu vidéo de 2010 à 2014.

Les jeux vidéo, ça a toujours été plus ou moins mon truc. Au point que ça m’a d’ailleurs défini – parfois à mes dépens – dans tous mes groupes d’amis, et ce de l’école primaire jusqu’au lycée. J’étais l’érudit de la bande, capable de citer toutes les consoles de salon sorties ces trente dernières années, mais aussi de faire disparaître les filtres de nudité dans GTA ou de cracker des PSP.

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Et au fil du temps, s’il est certain que l’adolescence m’a transformé, j’ai tenu à conserver cette passion comme une relique. Je l’ai entretenue comme un constituant de mon identité, qu’il ne fallait surtout pas abandonner au profit des filles ou d’autres nouvelles passions inconnues. Je repense d’ailleurs parfois à Elisabeth, devenue mon amoureuse en CM2 simplement parce qu’on adorait jouer à Baldur’s Gate ensemble.

Je vivais cette passion intensément, sur toutes les plateformes. Je me sentais même carrément détenteur d’un savoir caché, à force de “squatter” à longueur de journée le forum JVC du 15-18, à la recherche des meilleurs scoops pour les distiller auprès de mon entourage. Mais arrivé à l’âge 13 ans, je suis tombé amoureux d’un type de jeu en particulier, qui a vampirisé tout mon temps, et consacré pour de bon mon amour de l’arcade et de la difficulté : le rogue-like.

Créer son petit monde intérieur

Peu avant que je découvre les rogue-likes, au début de la décennie 2010, l’industrie a vu passer quelques succès fulgurant du jeu indépendant, comme Minecraft, Super Meat Boy, Limbo ou Braid. On les opposait d’ailleurs beaucoup aux productions AAA, puisqu’il s’en dégageait quelque chose d’artisanal, d’intime même. L’inspiration, la passion et l’avenir du milieu étaient de ce côté, dans l’imaginaire collectif en tout cas.

Braid (2008) – Jonathan Blow, Hothead Games et Number None, désormais disponible sur PlayStation 3, Xbox 360, PC, Mac, Linux et Xbox One.

J’ai particulièrement accroché à cette vague indépendante, pour finalement m’investir quasi exclusivement dans certains de ces titres, ceux qui proposaient des systèmes de mort permanente ou de génération procédurale : les rogue-likes.

Les jeux de ce genre ont tous en commun d’être difficiles, et de proposer des parties courtes, ou la mort est synonyme de devoir tout recommencer. Le format me plaisait. Ma découverte de The Binding of Isaac en 2011 – le petit bijou d’Edmund McMillen, également l’auteur de Super Meat Boy – a fait passer cet intérêt à un nouveau stade. Il fallait absolument que je partage cet amour

J’ai donc démarré une chaîne YouTube en 2012, sur laquelle j’ai tout de même réussi à atteindre plus de 1 000 abonnés : une petite célébrité pour l’époque. De vidéo en vidéo, de sortie en sortie, je jouais de plus en plus aux jeux indépendants, mais surtout aux rogue-likes : Hotline Miami, FTL, Don’t Starve, Rogue Legacy, Spelunky… c’était mon quotidien.

The Binding of Isaac (2011) – Edmund McMillen et Headup Games, disponible sur PC, Mac et Linux.

À partir de là, chaque rogue-like était devenu un matériau brut à traiter. Je me sentais épanoui dans quelque chose qui me ressemblait. Cette sensation, c’était nouveau, et ça me plaisait encore plus de parler de jeux vidéo. En plus, ces titres étaient bien souvent plus punitifs que permissifs ; une alchimie parfaite pour éprouver totalement une expérience de jeu selon mes critères de l’époque.

Très logiquement, j’ai introduit ces nouvelles “reliques” à mes amis IRL. Sur Internet et dans la vraie vie, je parlais de rogue-like à tous mes proches. Même si conscient du peu de choses que cela représentait pour les autres, pour moi, c’était devenu un lien persistent entre tous mes groupes sociaux. Un rappel de qui j’étais aux yeux du monde – mais surtout un rappel à moi-même – alors perdu dans les constructions bancales de l’adolescence.

Don’t Starve (2013) – Klei Entertainment, désormais disponible sur Nintendo Switch, PC, PlayStation 4, PlayStation 3, Xbox One, PS Vita, Mac, Linux et Wii U.

C’était comme observer son propre monde de l’extérieur

J’ai fini par fermer ma chaîne YouTube en 2014, puisque ma vie de jeune homme m’a rattrapé. Une copine, les premières soirées, les potes, la musique… c’est si cruel de grandir. Ces cinq dernières années, avec les études et le travail, j’ai eu moins le temps de jouer, et j’ai adopté une consommation plus passive du jeu vidéo – en regardant des gameplays sur YouTube ou sur Twitch par exemple.

J’ai senti une diminution de mon investissement en tant que joueur, en partie causée par le fait d’être resté depuis tout ce temps cantonné aux mêmes jeux. Avec le recul, je sens que le rogue-like a été un chapitre très spécial de mon histoire avec le jeu vidéo, comme un hiver long de deux ans, à hiberner dans la même grotte.

De 2010 à 2014, les jeux indépendants à eux seuls me prenaient au moins 3 heures par jour, et jusqu’à 12 heures lorsque je réalisais mes vidéos. Peut-être que par nostalgie ou par sécurité, je suis resté attaché aux mêmes titres, sans me renouveler.

Il faut dire que, encore une fois – et certainement irrationnellement –, ils ont défini mon identité de joueur lors de mon adolescence. C’était rassurant. Au final avec le temps, je ne jouais plus que pour combler quelques trous dans mon temps libre. Une forme de lassitude s’est installée, et m’a éloigné des manettes.

Ma passion pour The Binding of Isaac a été un vrai tournant entre le gamer acharné que j’étais et l’acheteur modéré que je suis devenu. Et à mon avis, cela a quelque chose à voir avec le format de ces jeux, proposant des parties courtes, de 20 minutes à une heure, parfait pour jouer rapidement. Mais finalement, même s’ils étaient exigeants, je crois que les rogue-likes ont en fait formé la première étape vers la “casualisation” de mon investissement général dans le jeu vidéo.

Pendant mes études supérieures, j’ai même eu du mal à toujours me considérer comme étant un joueur, un vrai, comme à la grande époque, tant je passais mon temps sur des titres que je connaissais déjà. Néanmoins, je suis toujours resté très proche de l’actualité et des sorties : c’était comme observer son propre monde de l’extérieur.

Avec le temps, j’ai repris goût à la découverte, et je joue à nouveau un peu plus. Enfin, je me suis détaché de cette culpabilité étouffante, difficilement exprimable – celle d’être devenu un charlatant à mes propres yeux. Étant jeune, je me souviens avoir cru qu’il n’existait qu’un seul profil de joueur : le hardcore gamer. Ce n’était pas très malin.

En fait, je crois que c’est ça le truc pour ne pas laisser une passion s’étioler comme je l’ai fait : s’amuser comme on l’entend, et faire ce que l’on aime… Et Dieu sait que j’ai aimé les rogue-likes, peut être même un peu trop pour continuer à m’y amuser. En tout cas beaucoup trop pour oublier un jour cette période de ma vie de joueur.