L’homme derrière les musiques de GTA nous parle de la franchise culte

L’homme derrière les musiques de GTA nous parle de la franchise culte

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© Rockstar Games

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Par Arthur Cios

Publié le

On a tous un rapport unique avec les radios de ces jeux cultes : voilà l'histoire derrière la musique de GTA.

Quand on pense à la musique dans les jeux vidéo viennent en tête les partitions légendaires de Koji Kondo dans GTA ou autres titres imbibés du metal des années 1990 de Doom, voire l’incroyable GoldenEye sur Nintendo 64.

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Et pourtant, d’autres jeux ont été vitaux dans la construction des goûts musicaux de beaucoup d’entre nous. Des jeux qui utilisaient de titres déjà existants. Chez certains, ce sera chez les Tony Hawk’s Pro Skater ; pour d’autres, les FIFA. Pour nous, ce sont les GTA. Grand Theft Auto a toujours proposé des radios pointues et géniales. Et ce n’est pas pour rien qu’une grande partie d’entre elles sont considérées comme cultes.

Alors que Rockstar vient de dévoiler la plus grande mise à jour de l’histoire de GTA Online, Cayo Perico, qui met l’accent en grande partie sur la musique – avec des nouveaux DJ, de nouvelles radios dont une de Julian Casablancas et près de 250 nouveaux morceaux –, nous avons pu discuter avec Ivan Pavlovich, le monsieur musique pour GTA chez Rockstar depuis près de quinze ans maintenant.

L’occasion d’en apprendre plus sur l’envers du décor et sur cet aspect de GTA.

Konbini Techno | Pour commencer, j’aimerais revenir rapidement sur votre parcours. Qu’avez-vous fait avant de débarquer chez Rockstar ?

Ivan Pavlovich | Je viens de l’industrie musicale. J’avais mon label et je viens de Chicago donc c’était beaucoup de house. [rires] À un moment, j’ai commencé à travailler avec Rockstar en parallèle de mon label. En fait, j’étais ami avec eux avant qu’ils lancent Rockstar. Ils m’ont demandé de faire la BO de Smuggler’s Run (2000) et de créer une station radio pour GTA III (2001). Puis c’est devenu de plus en plus difficile de maintenir en vie le label quand tout devenu plus numérique, les distributeurs avaient moins de revenus, et j’ai fini par fermer mon label.

Heureusement, au même moment, il y a 15 ans maintenant, Rockstar m’ont proposé d’emménager à New York pour les rejoindre. J’ai eu beaucoup de chance. Quand je suis arrivé, le premier jeu sur lequel j’ai travaillé était GTA San Andreas

Sur San Andreas, en quoi consistait votre boulot ?

Sur GTA III, je n’ai fait que de l’octroi de licence pour utiliser des morceaux légalement. Je connaissais très bien cet aspect parce qu’avec mon label, j’en avais fait beaucoup. Je n’ai pas fait de curation, parce que je suis arrivé à la toute fin de la création du jeu.

Vous étiez déjà un fan du jeu et de la franchise avant le III ?

Je n’étais pas familier avec GTA avant le troisième, mais je connaissais bien Rockstar ; le concept, leur philosophie, leur attitude, puisqu’on avait travaillé sur Smuggler’s Run.

Concrètement, pour que nos lecteurs comprennent bien, qu’est-ce que vous faites dans la création d’un jeu ?

Je suis directeur de la musique. En gros, mon boulot, c’est de créer des radios, trouver des animateurs, gérer les licences des chansons, mais aussi de composer la BO de fond.

Je travaille avec Sam [Houser, patron de Rockstar, ndlr] pour la direction des radios et de la musique de manière générale. Après on a une équipe de créatifs et une autre équipe pour le licensing. Quand on a 250 nouvelles chansons, on va chercher bien plus de licences : je ne connais pas le chiffre exact, mais je pense qu’on a tenté d’avoir 800 morceaux pour au final en obtenir 250.

Ce que j’aime le plus avec les radios, c’est qu’il y en a une pour tout le monde, pour chaque jour. Est-ce que c’est quelque chose que Rockstar vous a demandé ?

Oui ! Enfin, dans d’autres termes. On réfléchit à ce dont notre monde peut avoir besoin et on imagine des stations fun à écouter pour à peu près tous les situations, paysages et personnages. Vu la taille gigantesque de ce monde et toutes ces possibilités, la présence de la nature, il faut une musique vraiment variée.

C’est vrai qu’il faut suivre l’ambiance du jeu. Je me souviens des radios dans Vice City qui collaient parfaitement à ce que le jeu voulait instaurer.

La BO de Vice City a vraiment touché beaucoup de monde. Il faut dire qu’on a eu la chance de pouvoir faire un jeu qui regardait dans le rétroviseur [le jeu se déroule pendant les années 1980, ndlr]. Là, tu peux vraiment creuser et te plonger dans les sorties de l’époque pour trouver une ambiance.

En l’occurrence, en regardant sur YouTube, on peut retrouver les stations entières – celles de Vice City sont parmi les plus populaires. Les personnes adorent retrouver les ambiances qu’elles ont découvertes dans le jeu en dehors du jeu ; ça en dit long sur votre travail de curation.

Oui, c’est génial ! On essaye de faire de la musique dans GTA un espace de soutien au jeu et à l’intrigue, mais aussi un espace de découverte. On veut que les joueurs viennent et découvrent plein de morceaux. Que les plus jeunes découvrent des trucs plus vieux, et que les joueurs plus âgés découvrent la radio de Flying Lotus et qu’ils se laissent porter par d’autres radios.

Comme tu l’as dit, ces radios fonctionnent bien en dehors du jeu. Mais dans le jeu, il y a vraiment une connexion parce qu’en jouant on a une écoute active. La clé, c’est de trouver un équilibre entre la découverte de nouveaux morceaux et artistes, et la connexion avec la musique. On en a tous besoin en ce moment je pense [rires].

Je me souviens qu’adolescent, je jouais au IV sur PC. Et j’avais trouvé une combine pour mettre mes chansons dans le jeu…

Hum, hum…

Je me souviens, j’étais hyper fier de ma radio ! Mais je l’ai écoutée qu’une heure, ensuite je suis revenu aux radios du jeu parce que la mienne ne collait pas avec l’ambiance du jeu.

[rires] On passe énormément de temps à réfléchir à comment trouver la recette parfaite. On s’amuse beaucoup, on travaille avec les DJ qui sont là depuis quelques mises à jour maintenant pour que ça colle avec le jeu. Ils voient bien que ce n’est pas la même démarche que de jouer dans un club, c’est un exercice à part.

Pour revenir sur les radios avec des DJ hôtes, on est d’accord que ça n’existait pas avant votre arrivée ? À quel point cette idée vient de vous ? Quand est-ce que ça a démarré ?

On a commencé avec GTA IV à demander des mixes. Ce n’était pas la même chose que des radios dynamiques qu’on avait avant, qui était comme des juke-boxes avec les morceaux, les pubs, les noms de radio, les interventions, qu’on mixait avec un code dans le jeu. Et sur le IV, c’était la première fois qu’on avait des mixes entiers et qu’on permettait à des artistes de faire leurs sets. On avait demandé à DJ Premier, qui avait fait un mix hip-hop, à François Kevorkian, qui avait un mix dance.

Maintenant, avec les clubs, on a pu le faire évoluer en incorporant les DJ en motion capture dans le jeu. Plus que dans les radios, quand tu vas en boîte, tu les vois mixer. Là, dans la mise à jour, Moodymann, tu le vois jouer, tu le vois parler à l’audience, il y a des danseurs derrière lui, il fait ses pas. Si tu vas à Detroit et que tu vas voir Kenny Dixon mixer, c’est ce que tu entendrais et verrais. Tu as l’impression d’y être. C’est ça pour moi notre grande évolution.

Ça vient de vous cette idée ? Et c’est vous qui décidez qui vous voulez dans le jeu en motion capture ?

Tout doit passer par Sam, le patron. Puis c’est une conversation. Mais on a tous grandi dans l’industrie musicale et on écoute tous encore beaucoup de musique, dont on décide de la direction à prendre ensemble. Quand ils décident d’ajouter des clubs, ça semble évident de vouloir ajouter des vrais DJ. Ça a commencé par une discussion avec Sam, puis ces choix ont déterminé la musique qu’on voulait écouter dans le monde. C’est assez personnel à ce niveau-là c’est vrai.

Ce qu’on ne fait pas, c’est mettre quelqu’un dans le jeu juste parce que c’est un grand nom. C’est trop personnel pour nous. On aime ces artistes, et c’est pour ça qu’on les ajouter.

J’ai interviewé The Blessed Madonna il y a quelques mois. Elle a fait de la motion capture pour la mise à jour du GTA Online qui rajoutait les clubs et elle me racontait qu’elle avait dû faire ses propres cascades, elle devait faire semblant de sauter dans un hélicoptère, etc. Donc ça va beaucoup plus loin qu’un simple DJ set.

[rires] C’était cool. Elle aussi vient de Chicago, on a tout le même background. Et quand on lui a demandé de faire les cut scenes justement qui précédaient son arrivée dans le club, elle nous a répondu : “Après tant d’années à jouer dans des raves, la chose que je rêvais vraiment de faire, c’était de taper un flic”. [rires] Elle a pu le faire dans le jeu, et c’était génial.

Ça montre à quel point on peut intégrer l’artiste dans l’histoire, l’intrigue et le gameplay, et que c’est sincère. Ça fait vraiment partie du jeu, ce n’est pas accessoire. 

Et pour cette nouvelle mise à jour, c’est aussi le cas, avec les fêtes sur la plage.

Oui, exactement. On a l’impression d’être dans le night-club, puis il y a cette île où il y a cette fête incroyable. Mêler la fête et la mission d’infiltration, ça fait vraiment sens.

On a beaucoup parlé de DJ et de mixes, mais il y a aussi des radios gérées par des stars du rock comme celle de Julian Casablancas. J’imagine que l’exercice est encore bien différent.

Oh oui ! On veut que les artistes apportent sur la table ce qu’ils veulent. On leur fait confiance et on ne le fait que parce qu’on est fans d’eux. Quand on a commencé à parler à Julian, il avait une vraie vision de ce qu’il voulait et on n’avait jamais fait avant. Vu qu’il vit la moitié du temps en Californie, il voulait apporter quelque chose des low keys stations, c’est-à-dire ces radios méga locales qui viennent de l’appartement de la personne qui la gère pour trois ou quatre blocs, juste pour le voisinage proche. Et c’est un grand fan d’un show précis à Venice Beach, celui de Tony Mac, qui fait ça dans son salon, un show ouvert.

Donc Julian a mis des classiques du rock, mais aussi des titres krautrock allemands des années 1980, des vieux morceaux de hip-hop ou des morceaux modernes. Il avait cette vision, cette force de proposition. Il a appelé son pote Mac DeMarco pour lire les résultats des courses hippiques, tandis que Tony Mac annonçait le nom des morceaux ou que David Cross venait pour aider à animer la radio. C’est une radio unique ; on n’avait pas eu de radio rock depuis longtemps. Et il a même enregistré un morceau inédit de The Voidz juste pour le jeu.

Oui, c’est fou ça d’ailleurs !

Oui, et puis c’est Julian Casablancas quand même, merde ! [rires] Je crois qu’il voulait ajouter quelque chose de spécial pour le jeu. Et c’est ce qu’on demande toujours aux artistes, de produire quelque chose d’unique et d’inédit pour le jeu. 

Vous expliquiez le nombre de personnes participant à cette radio. Vous trouvez que c’est plus facile d’atteindre des gros artistes maintenant, avec tous ceux déjà impliqués ?

Je ne sais pas. En tout cas, c’est plus facile pour eux de comprendre ce qu’on propose, de saisir la place qu’on laisse à la musique dans GTA. Le respect est mutuel, ils savent qui on est, qu’on est sérieux dans notre travail et qu’on est des vrais fans de musique. On a fait nos preuves au fil du temps.

Et puis, les gens comme Flying Lotus ou Julian Casablancas veulent se donner à 110 % pour leur radio. Ils contactent des artistes, cherchent à aller toujours plus loin. Gilles Peterson a demandé à ses amis qu’il voulait mettre en avant de leur envoyer des versions inédites des morceaux. Ce n’est pas tant atteindre les artistes, c’est plus leur demander de faire quelque chose d’inédit, qui est plus fort, et dont on est fiers.

Juste pour avoir une idée, bosser sur la BO de cette dernière update vous a pris combien de temps ?

On a commencé il y a six ou sept mois, en mars 2020… et on a fini la semaine dernière. C’est beaucoup de boulot. Rien que pour cette mise à jour, on a 8 nouveaux shows, plus de BO, 250 morceaux, sans parler des motion captures. Tout ça pendant le Covid ! [rires] C’était un peu compliqué… et assez spécial je trouve.

Le fait qu’on soit confinés, qu’on puisse plus sortir, aller dans un club… On est rentrés dans un club la semaine dernière dans le jeu pendant que Palm Trax jouait et j’avais l’impression d’être dans une boîte, où j’avais envie d’aller. Le public qui danse, cette sensation…

Au début du confinement, beaucoup de DJ faisaient des streams, mais là, c’est vraiment différent. On a vraiment l’impression de partager quelque chose, que ce n’est pas juste quelqu’un qui joue des trucs dans sa chambre.

Donc vous pensez que jouer avec la mise à jour fera que les clubs nous manqueront un peu moins ?

J’espère [rires] ! Ils me manquent beaucoup aussi !

J’aurais une dernière question, un peu piège : si vous deviez garder qu’une seule station de radio de tous les jeux, laquelle ce serait ?

Je ne peux pas choisir [rires], ce sont toutes mes enfants. Et toi ?

L’adolescent en moi dirait Fever 105 dans Vice City, mais l’adulte dirait celle de Flying Lotus dans le V.

J’adore le spectre de cette réponse. C’est parfait !

Pour nous écrire : hellokonbinitechno@konbini.com