On a discuté futur du gaming et écologie avec un des boss de Stadia

On a discuté futur du gaming et écologie avec un des boss de Stadia

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Par Pierre Bazin

Publié le

Nouvelle révolution de l'industrie ou énième gadget pour le gaming ? Google répond.

Attendue pour novembre 2019, la plateforme Stadia fait beaucoup parler d’elle depuis son annonce à la Game Developers Conference (GDC) en mars dernier. Le concept est simple : désormais, la console de jeux est dans le cloud, et pour y accéder, une simple (et puissante ?) connexion Internet suffit. Le jeu est donc directement streamé sur un écran, que ce soit celui d’un téléphone, d’un PC portable ou d’une télé. À condition d’avoir Google Chrome, évidemment.

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Difficile de savoir si la sauce va prendre. Bien sûr, il existe déjà des concepts similaires comme l’entreprise française Blade, qui propose un PC dématérialisé accessible à distance, Shadow. Toutefois, Google annonce Stadia comme une plateforme qui remplacera la console, et où l’on pourra acheter des jeux notés “triple A” (jeu vidéo à gros budget) pour y jouer dans une qualité optimale sans besoin de matériel.

Konbini Techno a pu échanger avec Andrey Doronichev, chef de projet sur Stadia. Il a répondu à nos interrogations sur la vision à long terme qu’a le géant de la technologie vis-à-vis du gaming, mais également sur les potentielles critiques adressées à cette nouvelle technologie, notamment d’un point de vue écologique.

Konbini | Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre rôle dans le projet Stadia ?

Andrey Doronichev | Je suis directeur de produit de Stadia Gamers Experience. Je travaille sur tout ce que les joueur·se·s utilisent, de la manette au support en passant par l’application. Je suis chez Google depuis de nombreuses années. J’ai travaillé sur la réalité virtuelle, et également chez YouTube. Stadia est un peu le point de rencontre de mes deux anciens projets.

Quelle a été la genèse de Stadia, le point de départ de l’idée de streamer des jeux ?

L’idée avait été émise avant que j’arrive, notamment avec un directeur de produit de Google Fiber [projet d’équipement de fibre optique dans les villes lancé en 2012, ndlr]. Ce dernier explorait tous les services que Google pouvait fournir avec ce flux Internet extrêmement rapide.

Une des idées qui sont venues était qu’il n’y avait pas que les vidéos qui pouvaient être streamées, mais aussi les applications. Et pourquoi pas une des plus qualitatives et demandées comme les jeux vidéo ? Au début, cela semblait être de la science-fiction mais, peu à peu, les hypothèses ont été confirmées techniquement, et le projet a commencé !

Qu’est-ce qui est le plus intéressant pour vous dans Stadia ?

Pour moi, c’est l’accessibilité qui est le plus important. J’ai eu mon premier jeu sur PC-DOS quand j’avais 12 ans. Pour pouvoir me l’offrir, j’ai travaillé pendant deux mois dans une ferme juste pour avoir ces 50 dollars nécessaires à l’achat de Star Wars: TIE Fighter (1994). Je suis allé à ce magasin et ils m’ont donné une énorme pile de disquettes. Ça m’a pris 2 heures pour l’aller-retour, puis 2 heures pour installer le jeu, disquette par disquette.

“Le jeu vidéo n’a que trop peu été envisagé à travers le streaming pour le moment”

Ce n’est qu’une semaine plus tard, après avoir fait de nombreux réglages et configurations, que j’ai pu proprement jouer au jeu. Je dirais que j’ai mis 3 mois à pouvoir jouer à ce jeu à partir du moment où je l’avais découvert. Honnêtement, aujourd’hui, c’est presque absurde pour moi que mon fils puisse juste cliquer sur un lien sur son Chromebook et que le dernier Assassin’s Creed apparaisse comme par magie.

Comment convaincriez-vous un “hardcore gamer”, attaché à sa console ou à son PC, d’utiliser Stadia ?

Je veux être clair : laissons-les gens s’enthousiasmer pour ce qu’ils aiment. Il y a ces gens qui adorent leur PC et qui s’éclatent à les fabriquer, à les customiser, à les réparer, à les améliorer tous les trois mois. Je ne veux pas convaincre ces personnes, je les encouragerais même à continuer.

Toutefois, si ce que vous aimez le plus dans le jeu vidéo, c’est le jeu en lui-même, alors toutes ces choses, qui vont des câbles aux mises à jour en passant par les pénibles drivers obsolètes, ne vont pas forcément vous exciter. À ce moment-là, Google vous donne accès aux dernières technologies toutes prêtes pour vos jeux dans une qualité optimale.

Vous avez récemment dit que vous n’aimiez pas trop l’expression “Netflix du jeu vidéo”. Pourquoi ?

Je trouve que cela risque d’amener beaucoup de confusion. Je comprends la comparaison à Netflix. Ce que la plateforme a fait, c’est de passer de la location de DVD à un accès immédiat par streaming. En ce sens, c’est ce qu’on fait pour le jeu vidéo. D’ailleurs, pour tout, livres, vidéos, textes, musique, on est passé au streaming. Le jeu vidéo n’a que trop peu été envisagé à travers le streaming pour le moment.

Ce que je n’aime pas dans la comparaison avec Netflix, c’est qu’on pense qu’il y a un “abonnement” qui donne accès à un contenu illimité. Il y a certes une option d’abonnement “Pro”, mais c’est plutôt comparable à Spotify Premium : vous payez un extra et vous avez accès à une meilleure qualité [4K, 8K à venir, ndlr]. Avec l’abonnement pro, vous obtenez des jeux gratuits, mais cela est plus proche du PS Now [PlayStation] ou du Golden Pass [Xbox].

Pourquoi Google ne s’intéresse que maintenant au gaming ?

Google s’intéresse aux jeux vidéo depuis longtemps. Il suffit de voir la quantité d’argent qui a été dépensée dans le Play Store par exemple, ou ce qu’a fait YouTube pour promouvoir les jeux avec les vidéos gaming et leur succès indéniable. Google est déjà, depuis longtemps, un gros joueur dans l’industrie vidéoludique.

“Nous avons envie de rendre accessibles ces jeux comme le sont les vidéos sur YouTube”

En revanche, Google n’avait pas de console, alors pourquoi se lancer dans le triple A ? Cette industrie existait avant Google, mais personne n’est entré sur le marché des constructeurs de consoles depuis environ 20 ans ! Aujourd’hui, c’est le moment que de nouveaux acteurs apparaissent et ces changements sont dus à des grands bonds technologiques. Quand le CD a remplacé la cartouche, changeant le système entre Sega et Nintendo par exemple, Microsoft et Sony sont arrivés.

Cela n’aurait pas eu de sens pour Google de s’incruster sur ce marché avec une énième boîte noire à mettre sous sa télé. D’un coup, ce sont tous nos data centers qui deviennent notre console, et je pense que c’est quelque chose que Google peut faire… Je n’ai pas envie de dire “mieux que quiconque”, car il y a des personnes très talentueuses dans la concurrence, et j’ai hâte de les voir arriver sur ce marché du streaming et du cloud-gaming.

Connaissez-vous Shadow, une entreprise française qui propose déjà une expérience de PC dématérialisé ?

Je ne les ai pas rencontrés personnellement, mais j’ai évidemment surveillé toutes les technologies du genre, dont celle de Shadow. C’est toujours intéressant.

Vous saviez qu’après la première annonce de Stadia à la GDC, leurs ventes d’abonnements Shadow ont augmenté ?

Évidemment, “a rising tide arise all the ships” [“Une marée montante soulève tous les navires”, littéralement, ndlr]. C’est un marché énorme. Aujourd’hui, cela reste très dur d’accéder aux jeux. Une des raisons qui ont mené au succès explosif des jeux mobiles ces dernières années, c’est qu’ils devenaient soudainement très accessibles. Nous avons envie de rendre accessibles ces jeux comme le sont les vidéos sur YouTube : sans besoin matériel spécifique ou délai d’attente.

Pensez-vous que la dématérialisation totale est le futur du gaming ? Si oui, n’est-ce pas un peu triste pour tout ce qui est “fétichisme”, rétro collections ou le fait de prêter un jeu à un ami ?

Cela va un peu au-delà de mon champ de compétences. Là, je parle de mes choix personnels. Il y aura toujours des collectionneurs. J’ai toujours ma vieille NES avec ses cartouches, et j’y suis très attaché. Mais j’ai aussi ces quelques boîtes de vieux DVD que je n’utilise jamais et qui prennent la poussière. Si vous aimez collectionner, continuez, mais si vous voulez juste jouer à de grands jeux instantanément, il y a Stadia.

À lire aussi : Le gaming du futur se fera-t-il sans console ni PC ?

Stadia nécessite une bonne connexion. Aujourd’hui encore, 6,8 millions de Français n’ont pas accès à Internet. Pensez-vous que Stadia et les technologies similaires aggraveront la fracture numérique ?

Le gouvernement français met beaucoup de choses en œuvre pour régler ce problème, sans compter la 5G qui arrive… Mais je ne peux pas nier que le streaming de jeux demande une bonne connexion Internet. Je pense que ces technologies appellent à ce que de nouvelles infrastructures Internet soient construites car ce sont de nouvelles opportunités économiques. Le streaming vidéo a amélioré le réseau Internet à travers le globe, et pour moi, le même processus va s’appliquer au streaming de jeux vidéo, y compris en France.

Vous avez annoncé que Stadia proposerait des résolutions 4K et même 8K. Pensez-vous que les joueurs vont acheter ce genre d’écran coûteux pour suivre cette amélioration technique ?

On propose une offre “Pro” avec ces résolutions ultra-définies pour ceux qui veulent être dans les technologies dernier cri. Il y a un vrai segment de joueurs intéressés par cela, moi inclus [rires]. Tout le monde n’est pas comme ça, et avec Stadia, on permet les deux. La 4K et 8K ne sont pas au cœur de notre stratégie, c’est l’accessibilité qui est le vrai enjeu.

À la GDC 2019, vous avez annoncé de nombreux data centers et plus de 7 500 points relais de connexion dédiés à Stadia. Que répondez-vous à la critique écologique basée sur l’empreinte environnementale due à la consommation électrique de ce genre d’installations ?

C’est vrai que les data centers sont de gros consommateurs énergétiques dans le monde. Ce dont je suis fier, c’est que Google a réussi à atteindre le zéro émission de carbone sur ce genre d’infrastructures, chaque kilowatt d’électricité est propre. Je ne dis pas que tous nos data centers fonctionnent à l’énergie éolienne, on achète encore de l’énergie aux réseaux en place. Mais celle qu’on produit n’émet aucun dioxyde de carbone.

“Le business model qui pousse le consommateur à acheter une nouvelle console sans cesse est pour moi périmé”

Il faut aussi considérer la pollution matérielle du jeu vidéo. Les processeurs, les cartes mères, les consoles qu’on achète et qu’on jette… Cela représente aussi un désastre environnemental. Chez Google, nous réparons, nettoyons et réutilisons énormément notre matériel et nos serveurs, et par rapport au consommateur lambda qui consomme à son échelle, nos data centers sont beaucoup moins “impactants” pour la planète.”

Aujourd’hui, il n’existe pas d’analyse publique de cycle de vie sur ce qu’une heure de jeu Stadia a comme impact sur la planète. Un spécialiste nous a expliqué que le vrai enjeu des années à venir concernera surtout les écrans, le fait qu’ils deviennent de plus en plus puissants, lumineux et grands. Doit-on aller toujours plus loin dans l’amélioration technologique ? Peut-être que la HD est suffisante : que pensez-vous par exemple de la low-tech ?

C’est très important ce que vous demandez, je vous en remercie. Quand on vend du matériel, c’est important d’avoir les dernières technologies de pointe. C’est dans l’ADN de chaque vendeur de matériel de trouver de nouvelles justifications à pourquoi il faut acheter ce dernier équipement en particulier : “C’est un centimètre plus fin ! Il y a ces finitions dorées pour vous !” et toutes ces “conneries” [“crap”, ndlr]. Je ne veux pas faire de bashing sur la compétition, mais ce business model qui pousse le consommateur à acheter une nouvelle console sans cesse est pour moi périmé.

Pour revenir sur la 8K, ne soyons pas dupes : Google est gros et influence les manières de consommer mais aussi toute la compétition. Vous poussez quand même à acheter ces nouveaux écrans, à votre manière.

Ce qu’on dit, c’est qu’on continuera d’évoluer avec la technologie, elle-même évoluant sans vous. J’espère que le progrès technique n’ira pas que sur la voie du “plus de pixels”, mais aussi sur celle d’un moindre impact environnemental. Google est très concerné par ces problèmes, et j’espère que tout le monde sur cette planète l’est également. L’industrie de la technologie a conscience de ça et évoluera avec cette idée en tête, je l’espère.

Ces propos recueillis lors d’une visioconférence ont été édités pour plus de clarté.