On a parlé sexe, LGBT et tueries de Sims avec un boss de la franchise

On a parlé sexe, LGBT et tueries de Sims avec un boss de la franchise

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Par Pierre Bazin

Publié le

Les Sims ont 20 ans, alors "ooboo vroose, baa dooo" !

Le 4 février dernier, Les Sims ont fêté leurs 20 ans. Dans l’univers du jeu vidéo, vingt ans, c’est long, même pour une franchise aussi mythique. Pourtant, épisode après épisode, extension après extension, le succès est toujours au rendez-vous. Depuis 2000, la série de simulation de vie créée par Will Wright a engrangé plus de 5 milliards de dollars de bénéfices. Au total, ce sont plus de 1,6 milliard de Sims qui ont été créés, et pas moins de 1,3 milliard de “séances de crac-crac” qui ont eu lieu…

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Que vous aimiez construire des maisons, vous accoupler avec tout le monde ou tout simplement buter cruellement vos personnages, il y a 1 001 raisons d’aimer jouer aux Sims. À l’occasion des 20 ans de la série, nous nous sommes entretenus avec Grant Rodiek, producteur senior à Maxis/Electronic Arts, présent depuis Les Sims 2 (2004). Entre anecdotes insolites et perpétuel étonnement sur ce que la communauté de joueur·se·s a apporté, il nous dévoile l’envers du décor.

Konbini Techno | Quelle est la recette magique qui explique le succès phénoménal des Sims ?

Grant Rodiek | Il y a évidemment plusieurs facteurs. Premièrement, il faut se rappeler que, pendant très longtemps, il n’y avait aucune concurrence frontale. En 2000, aucun autre jeu vidéo incluant à la fois autant de construction et de créativité n’existait, et encore moins avec cet aspect de simulation de vie.

Ensuite, c’est un jeu drôle, même pendant dans les situations désastreuses. Quand vous jouez à un jeu, genre un FPS, si vous perdez, clairement, vous ne rigolez pas. Mais quand votre Sim est en feu et que la Mort vient vous faucher, cela reste toujours assez hilarant.

Ce que je trouve toujours aussi fou dans notre système, c’est que tous les avancements, les succès de gameplay et les progressions se reflètent directement sur votre personnage. Il est plus heureux, plus fort, plus créatif, etc. Il y a une vraie réflexion sur le système de récompense que le joueur ressent directement via son Sim.

Enfin, le jeu a un potentiel infini puisqu’on essaie de refléter la vie, qui est elle-même infinie. Le monde n’a cessé de devenir de plus en plus complexe, mais cela nous permet de complexifier aussi les mécaniques du jeu. C’est évidemment un challenge, et en même temps on sait qu’on ne manquera jamais d’idées !

La communauté de joueur·se·s est très créative : elle propose des mods, des contenus personnalisés, partage des créations… Vous en inspirez-vous parfois pour les intégrer officiellement dans le jeu ?

Une des choses les plus intéressantes proposées par la communauté, ce sont les “traits” [les aspects sociables des Sims, ndlr] ou encore de nouvelles “carrières”. En tant qu’entreprise, on a dû faire des choix, mais on ne pouvait évidemment pas penser à tout. Par exemple, on a pu voir apparaître un mod de fan qui propose d’ajouter la carrière de “danseur”. La communauté est très douée pour étendre nos idées mais surtout pour remplir les petites envies de “niche”.

De notre côté, nous devons faire un jeu pour des millions de personnes réparties sur toute la planète. Il doit être global, attirant pour le public nord-américain, européen, asiatique, sud-américain, etc. C’est difficile de plaire à tout le monde quand on sait les différences culturelles qui peuvent nous séparer. C’est la communauté qui se charge, avec ces contenus personnalisés, de l’adapter au mieux à la culture de son pays. Par exemple, des joueurs allemands avaient créé des villes qui ressemblaient (architecturalement) bien plus à celles de leur pays car ils ne se reconnaissaient pas dans nos villes trop “américaines”.

Envie d’une place de marché médiévale ? La commu l’a faite. © EA

Quelle est votre position vis-à-vis des mods plus “officieux”, et j’entends notamment par là les “sex mods” qui permettent d’enlever la censure ?

Il y a évidemment des mods “matures”, et certains sont honnêtement vraiment très drôles. On en a vu de très surprenants, je ne les mentionnerai pas parce que je n’ai pas envie de me faire virer, mais croyez-moi, ils sont hilarants ! [Rires.] De manière générale, tant qu’il a une copie légale du jeu, tout le monde devrait pouvoir faire ce qu’il a envie de voir. Bien sûr, cela ne peut pas dépasser le cadre de ce qui est acceptable et légal dans nos sociétés – ça, nous ne le tolérons pas.

La sexualité humaine, c’est quelque chose de normal, ça fait partie de la vie, et donc des Sims. Évidemment, nous sommes un jeu “Teen” [équivalent nord-américain de PEGI 12, ndlr], mais je suis content que des joueurs plus âgés le fassent, surtout si ça rend le jeu plus amusant pour eux.

Vous attendiez-vous à ce qu’autant de gens prennent plaisir à tuer leurs Sims ?

[Rires.] C’était complètement inattendu ! Quand on a pitché les Sims, on décrivait un jeu où le but est de réussir dans la vie, d’avoir une grande famille, un super job, une grande maison, etc. C’est la communauté qui s’est emparée de tout ça. Ce sont les joueurs qui ont défini la mentalité du jeu qu’ils souhaitaient.

Vous ne pouvez rien faire contre ça. Si le but d’un joueur consiste à tuer une centaine de Sims le plus rapidement possible, de faire le “100 Baby Challenge”, le “Black Widow Challenge”, eh bien, qu’il le fasse ! C’est à la fois hilarant et intéressant pour notre travail.

Parmi toutes les créations, la mort est l’une des plus drôles. Même si on ne s’y attendait pas au début, je mentirais si je disais que, par la suite, nous n’avons pas soutenu leur démarche et diversifié les manières de mourir au fil du temps. Les gens ont râlé quand par malheur une extension ou un pack ne proposait pas une nouvelle manière de faire “crac-crac” et une nouvelle manière de mourir. Je vous laisse imaginer à quoi peuvent ressembler nos réunions lorsqu’on doit réfléchir à ce genre de choses [rires].

La Mort peut devenir votre amie si vous savez vous y prendre avec elle. (© EA)

Votre public est très varié, vous avez notamment une grande proportion de joueuses. Comment l’expliquez-vous ?

Les Sims, ce n’est pas juste la progression et les succès à accomplir. Avant cela, il faut passer par le créateur de personnages. À ce moment-là, vous pouvez définir tout ce que vous souhaitez pour votre Sim. Peu importe qu’il soit noir, blanc, gay, une femme ou même un alien, les autres Sims réagiront exactement de la même manière, sans aucun jugement. C’est quelque chose de très puissant pour les joueurs, qui les aide à s’affirmer eux-mêmes. On leur a donné toutes les possibilités, sans opinion, et ils n’ont qu’à choisir.

La deuxième chose qui explique la diversité, c’est les possibilités qu’offre le jeu. La plupart des autres jeux vidéo proposent un système de progression, d’un point A à un point B. Dans les Sims, vous choisissez. Il y a des joueurs qui ne font que construire des maisons et qui ne joueront jamais avec. Il y a ceux qui veulent tourner des petites vidéos scénarisées avec leurs Sims, ceux qui sont obsédés par avoir toujours leurs besoins dans le vert, etc.

Les Sims peuvent se marier même s’ils sont du même sexe, et ce depuis le tout premier épisode en 2000. Diriez-vous que c’est un jeu “progressiste” ?

Dans les jeux Maxis, il y a toujours eu un intérêt particulier pour les questions sociétales. Même du côté de l’écologie, vous ne pouvez pas jeter vos déchets dans la rue par exemple. La “question LGBT” n’est pas si compliquée en fait, surtout du point de vue des développeurs. Les trois premiers épisodes des Sims ne considéraient aucunement la sexualité de votre Sim.

En plus, c’était plus simple pour nous, les développeurs, de faire en sorte qu’un homme puisse aimer un autre homme par exemple. Je pense même qu’au tout début, les développeurs ne s’étaient même pas vraiment interrogés sur cette possibilité de “couples de même sexe”. Et quand ils l’ont remarqué, ils ont dû se dire : “Oh bah très bien, gardons ça !”

Pour Les Sims 4, c’est un tout petit peu différent. Aujourd’hui, la sexualité et le genre sont devenus des sujets importants. Il y a une énorme prise de conscience sur ces questions sociétales. Nous avons donc dû le prendre en considération et ajouter quelques choix en plus pour les joueurs. Nous nous sommes posé trois questions simplissimes :

  • Est-ce que votre Sim peut faire pipi debout ?
  • Est-ce qu’il/elle peut avoir des enfants ?
  • Est-ce qu’il/elle peut être enceint·e ?

Nous proposons ces options aux joueur·euse·s, mais ne prenons jamais aucune position sur la question. C’est leur choix, ce sont eux qui décident et ça correspond exactement au mantra du jeu en général. On s’en fout, nous ! [Rires.] L’idée, c’est que si c’est ce que vous voulez, eh bien faites-le !

Qui dit progressisme dit aussi réactions conservatrices. Y avez-vous été exposés ?

Pas en interne, on en parle très librement. Après, aux États-Unis en général, il y a eu peu de soucis dans un État comme la Californie. En revanche, dans certains États américains conservateurs, la notation ESRB [équivalent PEGI, ndlr] a pu se montrer plus restrictive en fonction des lois locales en vigueur – vis-à-vis de l’homosexualité notamment.

Notre position est très claire : on ne change rien pour s’adapter à ces lois. Ils peuvent changer la notation, mais ça nous importe peu. Le mariage homosexuel est désormais légal et reconnu partout aux États-Unis depuis la décision de la Cour suprême de juin 2015, mais pour les Sims, ça existe depuis 2000 ! Nous sommes peut-être passés sous le radar des gouvernements pendant tout ce temps ! [Rires.]

Les Sims furent montrés publiquement pour la première fois à l’E3 1999. Dans cet extrait, on aperçoit deux femmes s’embrasser. Cette petite “excentricité” (pour l’époque) a notamment permis au jeu de se faire remarquer pendant l’exposition.

On sait qu’originellement, le simlish a été créé car il n’y avait pas assez d’espace sur les CD pour enregistrer de vraies paroles. Pourquoi l’avoir gardé 20 ans plus tard ?

Le grand pouvoir de cette franchise… Eh bien, c’est un peu comme les chiens et les chats dans la vie réelle ! Vous ne savez pas exactement à quoi vos Sims pensent ou pourquoi ils font ceci ou cela. La vraie plus-value de la franchise, c’est que ce sont les gens qui projettent sur ces Sims ce qu’ils pensent ou ressentent.

Le simlish est donc resté une valeur sûre pour laisser de la place à l’imagination des joueurs et joueuses. C’est tout l’esprit de ce jeu, on a donné il y a 20 ans un bac à sable et la communauté en a fait ce qu’elle voulait. Aujourd’hui, on se retrouve avec des résultats diamétralement opposés d’un joueur à l’autre et c’est pour ça que la franchise a autant plu et perduré.