Les petites mains du jeu vidéo se syndiquent pour dénoncer leurs conditions de travail

Les petites mains du jeu vidéo se syndiquent pour dénoncer leurs conditions de travail

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Par Pierre Bazin

Publié le

Derrière le rêve du développement de grands jeux vidéo se cachent des réalités de travail parfois très difficiles.

Game Workers Unite est une association internationale qui cherche à inciter les employés travaillant dans l’industrie vidéoludique à se rassembler et se syndiquer pour lutter ensemble contre certaines conditions de travail abusives. Étant un secteur extrêmement lucratif mais également très compétitif, les places sont chères et rares sont les élus, ce qui amène parfois à de sérieuses dégradations des méthodes managériales.

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Hier, la branche britannique a officiellement obtenu son statut légal de syndicat et devient le premier représentant national de Game Workers Unite (GWU). C’est un évènement rare puisque c’est seulement la deuxième fois au monde qu’un syndicat exclusivement dédié aux employés de l’industrie vidéoludique est créé, le premier étant le STJV (Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo, français).

L’un des fondateurs, Karn Bianco, dans une interview accordée à The Guardian, revient sur l’envers du décor de la création des grands jeux vidéo et les pressions diverses subies par les employés. La première méthode mise en cause : le “Crunch”, il s’agit d’une période d’une à plusieurs semaines où développeurs et codeurs enchaînent les heures (pas nécessairement payées ou rattrapées) de manière intensive pour boucler le jeu ou une partie du jeu avant une échéance – conférence, exposition, présentation ou même sortie du jeu.

“Pour beaucoup de gens, travailler toute la nuit et jusqu’aux premières heures de la journée était une fierté, il y a aussi une culture qui va de pair avec des heures supplémentaires excessives. […] C’est un secteur de passionnés dans lequel de nombreuses personnes sont simplement heureuses de créer des jeux pour gagner leur vie. Dans mon cas, cela a pris un an pour commencer à me sentir fatigué. J’ai commencé à prendre conscience de cela et à me ménager.”

Bianco raconte ses expériences de travail consécutif à coup de 80 heures par semaine, alors qu’il était stagiaire après l’université. Il est vrai que la concurrence est rude et que cette petite “chance” qu’ont les développeurs, comme cela est souvent rabâché par les éditeurs, justifie de nombreux abus et installe la méfiance et la compétition entre des collègues.

Récemment, ce sont les studios Rockstar Games qui ont créé la polémique, à propos de Red Dead Redemption 2. En effet, le cofondateur Dan Houser avait laissé échapper le chiffre de “100 heures de travail hebdomadaires” pour les dernières semaines avant le lancement du jeu, comme preuve de la “passion engagée”.

Même si la méthode du “crunch” est jugée archaïque par beaucoup d’éditeurs, cette culture du travail intensif “pour la passion” demeure encore et aboutit à des burn-out, des dépressions et à une dégradation forte des conditions de travail dans les studios de jeux vidéo. Une enquête menée par l’International Games Developers Association (IGDA) montre que le “crunch” existe toujours sous diverses formes dans l’industrie vidéoludique.

Combattre le sexisme et le racisme

Outre une campagne sur les salaires et les conditions de travail, Game Workers Unite UK souhaite également dénoncer certaines pratiques racistes et sexistes qui ont une forte persistance dans ce milieu encore très masculin. À ce propos, Bianco déclare :

“La simple présence de femmes dans les jeux est déjà suffisante pour générer des foules haineuses [exemple : une femme dans le trailer de BFV, ndlr]. Nous savons que certains fouillent ce que suivent les nouvelles employées sur les réseaux sociaux et leur mettent des pressions s’ils découvrent, par exemple, qu’elles suivent des personnalités féministes.”

Il est vrai que le sexisme, peut-être plus encore dans l’industrie vidéoludique, perdure. La dernière grosse polémique en date concerne Riot Games, les éditeurs de League of Legends, souvent mis en cause pour des pratiques managériales jugées discriminantes, si ce n’est relevant du harcèlement moral et sexuel.

En tout cas, Game Workers ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et met déjà un grand coup de pied dans la fourmilière, brisant une certaine omerta sur les questions sociales du monde des développeurs, souvent bien à l’abri des regards, au contraire de leurs productions.