Pourquoi l’eSport n’a pas sa place aux Jeux olympiques

Pourquoi l’eSport n’a pas sa place aux Jeux olympiques

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Par Pierre Bazin

Publié le

Et ce n’est pas parce que "ce n’est pas du sport".

En juin dernier se sont tenus les Olympic Virtual Series (OVS), une arrivée timide de l’eSport en marge des Jeux olympiques modernes 2021 (édition 2020), un mois et demi avant que la flamme de ces derniers ne soit ravivée à Tokyo.

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Jeux de cyclisme, de baseball, de voile ou encore d’aviron, peu de grands “noms” de l’eSport étaient représentés, à l’exception peut-être d’une épreuve sur Gran Turismo. Officiellement reconnu par le CIO, l’événement est pourtant passé complètement inaperçu.

De son côté, l’Intel World Open, également en partenariat avec les JO de Tokyo, a lui aussi fait un petit flop malgré des jeux choisis plus proches de l’eSport que l’on connaît déjà. D’ailleurs, côté français, l’équipe Vitality a ramené une médaille d’or sur Rocket League… dans un silence médiatique assourdissant.

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En revanche, l’inclusion du sport électronique et des compétitions de jeux vidéo comme réelle discipline au sein des vrais Jeux olympiques crée depuis quelques années un débat très bruyant.

Partout, dans le milieu du sport, de l’eSport et du gaming en général, les avis sont tranchés et motivés. On le sait déjà : ce ne sera pas pour Paris 2024 mais nul doute que d’autres événements “en marge” viendront réaffirmer l’eSport comme une véritable pratique incontournable.

Je suis fan d’eSport, fan de jeux vidéo évidemment mais également grand fan de sport. Je suis aussi assidûment la LCK que les épreuves d’escrime à Tokyo. J’ai vécu autant, si ce n’est plus, d’émotions à une finale des Worlds de League of Legends qu’à une finale olympique. Mais si l’eSport est une vraie discipline à mes yeux, je ne souhaite pas qu’il soit intégré aux Jeux olympiques. Je vais vous expliquer pourquoi.

Balayons les mauvais arguments

Du côté des anti-eSport, on retrouve toujours les mêmes arguments, proches de ceux qui n’approuvent déjà pas forcément le jeu vidéo en tant qu’objet de divertissement légitime. “L’eSport n’est pas du sport“, “l’eSport ne demande pas d’effort” ou encore “les jeux vidéo promeuvent la violence” pour ceux qui pensent que l’eSport s’arrête à Counter Strike. Tous ces arguments qui montrent que peu des détracteurs du sport électronique ont assisté à un match ou même un entraînement de “e-athlètes”.

La question de la présence de l’eSport aux JO ne doit pas se poser par ce biais. Il existe de nombreuses disciplines olympiques qui ne demandent pas “d’effort” physique particulier au sens propre du terme. Certains sports comme le skeet demandent de l’adresse mais pas forcément une excellente condition physique, permettant même à des presque sexagénaires d’accéder au podium. En termes de réflexes, l’eSport est devenu très exigeant comme le prouve l’âge toujours plus jeune des joueurs professionnels de jeux vidéo.

Reste enfin l’argument selon lequel l’eSport n’intéresserait que les joueurs et joueuses de jeux vidéo, voire une infime partie de ces derniers. Là encore, force est de constater que les JO seraient justement la vitrine idéale pour promouvoir une discipline qui, chaque année, attire de plus en plus de monde. Il suffit de voir des événements comme la récente Karmine Corp Experience (KCX) qui a rempli le palais des congrès de Paris de fans enragés pour un simple match de la LFL (ligue française de League of Legends) et ainsi comprendre que l’engouement pour l’eSport n’est désormais plus à prouver.

Les Jeux olympiques permettent bien souvent de remettre un coup de projecteur sur des sports méconnus et/ou habituellement peu mis en avant médiatiquement. Escrime, tir au pistolet, gymnastique rythmique, pentathlon, hockey sur glace, dressage de chevaux sans compter les dizaines de sports étranges qui ont ponctué de leur présence les 125 ans d’existence des Jeux oplympiques modernes – tir à la corde, combat de canne, course de bateaux à moteur pour ne citer qu’eux.

Alors qu’est-ce qui empêche l’eSport de devenir, au moins une fois, une véritable discipline olympique ? Beaucoup de choses en réalité.

Ne pas accentuer les défauts olympiques

L’eSport est masculin. C’est un fait. Que ce soient les joueurs, les coachs, les spectateurs, la majorité sont des hommes, même si ces dernières années ont vu des femmes remplir les gradins – mais pas les compositions des principales équipes. La discipline est pourtant mixte sur le papier, ce qui serait un formidable exemple d’inclusivité pour les Jeux olympiques. Pourtant en une décennie de League of Legends, les grandes joueuses professionnelles se comptent encore sur les doigts d’une main – de Django Reinhardt.

Outre l’inclusivité, l’eSport est également très inégalitairement représenté sur le globe terrestre. Aujourd’hui, les grands tenants de la discipline se trouvent pour la plupart en Occident et dans quelques pays d’Asie. Bien sûr, des initiatives commencent à émerger en Afrique de l’Ouest ou dans certains pays d’Amérique latine mais le manque d’infrastructures (matériel mais surtout le débit internet) pénalise encore beaucoup ces pays. Au final, les médailles et les podiums en eSport seraient rapidement “préréservés” à la Corée, à l’Europe ou encore à la Chine, ce qui n’est pas le plus excitant en termes de suspense et de compétition.

On pourrait me rétorquer que c’est (malheureusement) déjà le cas pour pléthore de disciplines olympiques et ce, depuis plus d’un siècle. Pour le comprendre, il suffit de voir les écarts d’effectifs entre les délégations qui ne sont pas forcément liées aux différences démographiques des pays en question. Mais, justement, l’intégration de nouveaux sports olympiques devrait tendre à essayer d’intégrer au mieux les 5 anneaux et l’eSport en est encore très loin de ce côté-là.

Quel(s) jeu(x) pour quel(s) public(s) ?

Imaginons que l’eSport devienne du jour au lendemain une discipline olympique. De quoi parlerait-on exactement ?

Citer “l’eSport” comme un tout homogène est une erreur magistrale. Ce serait même pire que de résumer, par exemple, l’athlétisme à la course à pied. Les jeux vidéo se démarquent énormément les uns des autres, qui plus est lorsqu’ils sont développés pour le compétitif.

Que faudrait-il voir aux JO ? Des FPS style Counter Strike ou Rainbow Six Siege au risque de confirmer le cliché tenace que les jeux vidéo ne parlent que de guerre et de violence ? Des jeux de versus fighting comme Super Smash Bros. ou Street Fighter ? Ce sont des jeux nerveux et spectaculaires mais ils ne feraient apparaître que des duels et donc peu d’e-athlète par délégation, ce qui est dommage. On pourrait aussi penser aux simulations de sports comme FIFA pour rester dans un thème proche des JO mais, dans ce cas, l’intérêt de se démarquer se perd.

Automatiquement, viendra l’idée d’inclure le MOBA League of Legends, le plus grand jeu d’eSport de la planète mais aussi… le plus complexe. Sans avoir joué au jeu, rien n’est compréhensible pour le commun des spectateurs. LoL resterait ainsi un jeu entre initiés seulement, malgré un statut de discipline olympique.

Impressionnant moment sur une compétition de <em>League of Legends</em>, pas le plus télévisuel… © Riot Games

Peut-être faudrait-il se diriger vers des jeux à la fois spectaculaires et compréhensibles ? Des titres comme Rocket League pourraient par exemple parfaitement remplir ce rôle, il s’agit grosso modo de “football avec des voitures”, ce qui reste assez facile à comprendre, et même impressionnant, sans avoir joué au jeu.

Des “disciplines” qui appartiennent au privé

Le principal problème d’une possible intégration des jeux vidéo aux Jeux olympiques réside dans leur nature même. Les jeux vidéo sont des objets culturels et a fortiori des propriétés intellectuelles. League of Legends appartient à Riot Games, Rocket League à Epic Games, Rainbow Six Siege à Ubisoft, etc.

En plus de les posséder, les développeurs et/ou éditeurs mettent régulièrement à jour leurs jeux, particulièrement lorsqu’ils sont compétitifs. Mettre à jour signifie ajuster les mécaniques, faire des équilibrages, des nerfs, des buffs, des changements de méta, etc. En d’autres termes : changer les règles du jeu. Or, c’est précisément ce qui peut et même doit empêcher l’eSport (dans sa forme actuelle) de rejoindre les Jeux olympiques.

Un sport se doit d’être neutre, en évolution certes mais avec des règles discutées et négociées par les fédérations internationales. Les jeux vidéo appartiennent tous à des éditeurs privés qui décident unilatéralement de comment sera joué leur jeu dans les prochains jours, mois et années.

Toutes les semaines, des patchs viennent ajuster les règles du jeu <em>League of Legends</em> changeant parfois drastiquement la méta (ce qui est fort en ce moment) © Riot Games

Imaginez qu’Adidas définisse les règles du football, que Lacoste décide de passer à 4 sets gagnants le tennis pour que l’on admire plus longtemps leur logo. C’est impensable, encore plus aux Jeux olympiques dont la charte officielle interdit tout sponsor à l’exception de celui exclusif du maillot. Le CIO n’aurait aucun contrôle sur le règlement de l’eSport et serait tributaire de EA, Epic ou Riot, pour ne citer qu’eux.

Une dernière idée serait alors de créer un jeu vidéo exclusif aux Jeux olympiques sous la surveillance assidue du Comité. Toutefois, même en faisant fi des coûts exorbitants et de la complexité d’une telle entreprise, les JO passeraient à côté de réels talents qui continuent de pratiquer leurs jeux favoris. En plus de n’être absolument pas interchangeables avec d’autres jeux, ils n’auraient quasiment aucun intérêt à s’entraîner à un jeu “officiellement olympique”.

C’est peut-être une idée à creuser néanmoins. L’eSport mérite d’être visionné, apprécié et reconnu par le plus grand monde, au même titre que le jeu vidéo. Pour autant les Jeux olympiques, aussi modernes soient-ils, ne sont pour le moment pas le bon endroit pour donner leurs lettres de noblesse aux compétitions de jeux vidéo qui devront naturellement rester “en marge” de l’événement officiel – mais pas forcément invisibles.

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