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11-Septembre : comment une police d’écriture a rendu fou Internet

11-Septembre : comment une police d’écriture a rendu fou Internet

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Par Pierre Bazin

Publié le

Retour sur une rumeur qui a envahi nos boîtes CaraMail.

À l’ère de la massification des réseaux sociaux, on parle beaucoup d’infox, de fake news, de rumeurs et autres théories du complot sur Internet. Pourtant, il y a 20 ans, les rumeurs se répandaient déjà à la vitesse folle de l’ADSL sur la Toile. Certes moins nombreuses, moins relayées et moins lues, les premières légendes urbaines étaient toutefois moins fact-checkées, pour reprendre un terme à la mode.

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Aux origines des rumeurs

Tous ceux qui ont déjà bidouillé Word connaissent probablement le nom de “Wingdings”. Cette police d’écriture n’en est pas vraiment une, car elle se contente de transformer tous les caractères latins en symboles, signes et petits pictogrammes. C’est très utile si vous avez la flemme d’insérer un symbole en uploadant une image, mais honnêtement, Wingdings relève plus de la blague qu’autre chose.

Or, au lendemain des attentats du 11-Septembre, la blague s’est transformée en théorie malsaine. En substance, c’était : “Tapez ‘Q33’ (le numéro de vol d’un des avions kamikazes qui s’est écrasé sur le World Trade Center), puis ‘NYC’ pour New York City, et transformez le tout via la police Wingdings.”

Il existe une variante où Q33 est remplacé par AZ, donnant deux autres symboles : le V de la victoire et “le croissant et l’étoile” de l’islam.

Le résultat ? Un avion fonçant dans ce qui s’apparente à deux tours, suivies d’une tête de mort, d’une étoile de David et d’un pouce vers le haut. L’hoax se répand sur Internet comme une traînée de poudre : on crie au complot et on accuse Microsoft, éditeur de la police Wingdings, d’antisémitisme. Certains émettent même l’idée que le futur géant de la tech a été infiltré ou hacké par Al-Qaida, voire carrément que Bill Gates est en partie commanditaire des attentats.

Créée au début des années 1990 par Kris Holmes et Charles Bigelow, chercheurs en typographie informatique de l’université de Stanford, la police s’appelait originellement Lucida Icon. Rachetée en 1992 par Microsoft et renommée Wingdings, la police sera, la même année, intégrée à la nouvelle version de l’OS Windows 3.1. La police a conservé ses symboles religieux, avec seulement un changement de correspondance entre ces derniers et les lettres de l’alphabet latin.

Le 29 avril 1992, le New York Post, l’un des plus anciens tabloïds conservateurs de la Grosse Pomme, affiche sur sa une “Program of Hate” (“Programme de haine”), suivi du chapô : “Des millions d’ordinateurs contiennent un message secret appelant à la mort des juifs de New York.” Un consultant en informatique avait en effet remarqué que les initiales NYC écrites en Wingdings donnaient une tête de mort et l’étoile de David, suivies par un pouce d’approbation.

L’infox circule pendant des années sur les premiers groupes de discussion Internet, mais prend une autre envergure après les attentats du 11-Septembre. L’ajout de l’avion et des “deux tours” contribue à la psychose autour de l’affaire.

Coïncidence et gros mensonge

Oui, aujourd’hui encore, si vous tapez “Q33 NYC” en Wingdings, vous obtenez lesdits symboles. Sauf que les “deux tours” sont en réalité un pictogramme désignant un fichier texte en informatique et, surtout, Q33 n’a jamais été le numéro de vol d’un des avions-suicides qui se sont écrasés dans le World Trade Center – il s’agissait du American Airlines Flight 11 et United Airlines Flight 175, immatriculés N334AA et N612UA.

Microsoft postera évidemment de nombreux démentis, mais les communiqués de presse sont moins efficaces que les chaînes de mails obscurs, et la rumeur se répandra tout de même. À l’époque, le fact-checking n’était pas monnaie courante et beaucoup des premiers internautes se souviennent encore de cette mystérieuse légende urbaine – le jour où Microsoft aurait “prévu” les attentats du 11-Septembre.

Vous vous souvenez des légendes urbaines du début d’Internet ? Rafraîchissez-nous la mémoire à hellokonbinitechno@konbini.com.