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Arrêtons de stigmatiser les SDF qui ont un smartphone : ils en ont juste besoin

Arrêtons de stigmatiser les SDF qui ont un smartphone : ils en ont juste besoin

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Pixabay

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Par Benjamin Bruel

Publié le

Loin d'être un outil superflu, le smartphone est une bouée de sauvetage pour les personnes sans domicile.

En ce début d’année 2020, un groupe de jeunes de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) s’est lancé dans la collecte d’une cagnotte pour aider Hervé, un SDF de leur quartier. Un élan de solidarité qui a mené à une polémique, suivie d’incompréhensions et d’un emballement médiatique sur les réseaux, lorsque la personne sans-abri, âgée de 53 ans, a demandé l’obtention d’un iPad avec la cagnotte.

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On ne s’arrêtera pas plus en détail sur l’affaire, complexe et à nuancer, et qui a déjà été largement débattue dans la presse. Mais elle nous permet de revenir sur un point essentiel : les smartphones (ou les tablettes) sont devenus un outil vital pour les personnes sans domicile fixe ou en situation de précarité. Pourquoi ?

Loin d’être un luxe, une nécessité mais aussi un plaisir

Lorsque l’on pense aux besoins des personnes sans-abri, on pense à la nourriture, à un toit, à tous les besoins humains élémentaires. Pas à un appareil mobile connecté. Et pourtant, le smartphone est au cœur des besoins des personnes sans-abri ou en précarité : c’est aujourd’hui l’outil qui permet de trouver ces premières nécessités.

“Je faisais des maraudes pour les personnes en difficulté et je ne savais pas répondre à leurs questions. Où aller se doucher, poser leurs bagages, etc. Les informations que je trouvais en ligne n’étaient aussi pas souvent à jour ou pas adaptées aux problématiques de chacun. J’étais en études d’ingénieur à cette époque et j’ai commencé une petite liste, qui est devenue un fichier Excel, puis un site Internet et, finalement Soliguide”, nous explique Victoria Manfield .

Victoria Manfield est une jeune ingénieure à l’origine de Soliguide, un site qui cartographie les lieux et services dont peuvent bénéficier les personnes en situation de précarité – associations spécialisées, accueils de jour, douches, centres de soins, etc. Depuis 2016 et le lancement (progressif) du projet, elle et son équipe tentent d’éduquer aux besoins numériques de ces personnes. Comme l’application solidaire Entourages, Soliguide cherche à décloisonner l’isolement avec l’aide du numérique.

Lorsqu’on lui demande pourquoi les SDF ont besoin d’un smartphone, elle nous dit : “Si vous arrivez dans une nouvelle ville à l’étranger, vous faites quoi ? Vous sortez votre smartphone. C’est pareil pour les personnes à la rue. C’est aussi parce qu’on considère trop souvent les SDF comme des objets et des meubles. Mais ils ont un passé, un futur. Quand on est à la rue, un smartphone, c’est aussi parfois la seule manière d’avoir un contact avec ses proches.”

C’est aussi un moyen de distraction. Perdre son temps sur YouTube, Wikipédia, Internet. Avoir autre chose dans l’esprit. “C’est souvent ce qui fait crier les personnes bien-pensantes qui pensent que les personnes sans-abri n’ont le droit que de penser à manger et dormir et que si elles s’écartent de ça, elles ne méritent pas d’être à la rue”, continue-t-elle.

71 % des SDF ont un smartphone, mais ce n’est pas suffisant

À ses débuts, lorsque l’association se retrouvait à pitcher son projet, à l’expliquer, elle se retrouvent systématiquement face à une même allégation : les SDF n’ont pas de smartphones, ils n’en ont pas besoin. Problème : hormis sa bonne volonté, l’équipe de Soliguide ne possède aucune donnée pour soutenir son propos. Pour une raison simple : aucune étude n’a été conduite sur le sujet.

L’association décide donc, en 2018, de mener la toute première étude sociologique sur le sujet, en menant 300 entretiens qualitatifs à travers la France, notamment. L’ensemble de l’étude, si vous souhaitez jeter un œil à sa méthodologie, est disponible ici.

Que dit-elle ? D’abord, en termes de chiffres, que 91 % des personnes interrogées possèdent un téléphone mobile et 71 % ont un smartphone. Mais aussi beaucoup d’autres choses, comme le fait que les personnes SDF sont confrontées à des problématiques qui rendent compliqué leur accès au numérique, comme un accès à Internet limité ou des difficultés pour recharger leur appareil.

“Ça nous a fait découvrir beaucoup de choses, qui nous ont conduits à écrire six recommandations essentielles. Une qui me tient à cœur, c’est la possibilité d’avoir du wi-fi dans les centres d’hébergement d’urgence. Ça paraît bête, mais quand je postais des questionnaires sur dans les établissements sociaux, on me désignait parfois des abribus qui étaient à proximité de l’établissement. Les gens s’y entassaient parce qu’à un coin de l’abribus, on pouvait capter le point de wi-fi public ! On voyait une réelle détresse de ne pas pouvoir être en contact avec sa famille, faire ses démarches en ligne ou se distraire”, continue Victoria Manfield.

Pour faire évoluer les choses, elle souligne également un besoin d’éducation de chacun pour changer les mentalités et l’image (fausse) du SDF de 50 ans, blanc, alcoolisé. Faire comprendre aux gens la nécessité de posséder un smartphone pour les personnes précaires – “Les personnes à la rue sont obligées de cacher leur équipement, sinon elles se font littéralement cracher dessus !” – mais aussi la nécessité d’équiper les lieux d’accueils en wi-fi ou de former ces personnes, aux parcours pluriels, au numérique.

Quelques informations supplémentaires :

Emmaüs Connect permet d’aider à rompre l’isolement numérique. Il est possible de leur faire don de vos appareils inutilisés.

– Il est désormais possible d’aider Soliguide avec ses autres projets comme “Merci pour l’invit’” en logeant des femmes sans-abri.

– L’application Entourage permet d’aider les personnes en difficulté dans son quartier et créer du lien social.