Blablaland : le papa du site nous raconte son évolution

Blablaland : le papa du site nous raconte son évolution

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(c) NIVEAU 99

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Par Konbini

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Retour sur l'histoire singulière de Blablaland, la cour de récré des préados des années 2000.

De nombreux jeux communautaires pour préadolescents ont fleuri sur l’Internet français au milieu des années 2000. Pour les jeunes qui y ont joué, Blablaland, Chapatiz, Habbo Hotel, Club Penguin ou encore Ma Bimbo étaient des lieux de rendez-vous privilégiés, à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas.

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Des millions de collégiens se réunissaient les soirs et les après-midi pour discuter dans ces mondes colorés, en apparence inoffensifs, et réservés – en théorie – à un public de leur âge.

En France, le premier site du genre est né en Juin 2004 dans l’esprit de Didier Agani, un français passionné de jeux vidéo. Son site de tchat, bien qu’il ne soit pas devenu le plus renommé, a le mérite d’avoir marqué les esprits par sa simplicité et ses visuels chatoyants.

(c) NIVEAU 99 // Décors, personnages et objets créés par l’équipe, en particulier par Yoann Montalban. 

À son pic de fréquentations en mars 2012, le site Blablaland accueillait un million d’utilisateurs francophones du monde entier, tandis que les mastodontes d’alors, Habbo Hotel et le Club Penguin, perdaient en vitesse.

Son succès tient pourtant “à un gros coup de chance”, comme nous l’a confié son créateur par Skype, seize ans après le lancement de la première version du jeu. “Blablaland n’a pas été réfléchi dans l’optique de réunir autant de joueurs, explique-t-il, […] c’est surtout que tout était explosif sur Internet à l’époque.”

Peu avant l’été 2004, et alors qu’il avait fait une croix sur l’éventualité de faire une école de game design, Didier Agani s’est engagé dans une formation pour devenir webmaster : le premier pas vers son projet de jeu en ligne, et le début d’une nouvelle trajectoire dans sa vie.

“Pendant les cours, je bidouillais une application ‘Super Mario’ en flash et je me souviens m’être dit que ce serait sympa d’avoir un autre joueur avec moi sur l’écran. Aussi simplement, j’ai entrepris mon cheminement vers la programmation multijoueurs et le prototypage du site.”

(c) NIVEAU 99 // Un aperçu de Blablaland à ses débuts.

“J’ai été largement aidé par le tutoriel d’un gars, Jérôme, qui est devenu un ami proche, après ça. J’ai pris son système et j’ai tout intégré au mien, en ajoutant des bulles de discussion. J’ai ensuite proposé à mon ami Yoann Montalban, qui dessinait bien mieux que moi, de griffonner des idées. On a commencé à créer des visuels tout mignons pour modifier les avatars, ça nous faisait marrer. Lentement, des inconnus ont débarqué sur le prototype de ‘Blablaland’ et ça a démarré comme ça”, reprend-il.

Un projet de tous les possibles

Avec cette simple base – et ses deux comparses au design et à la programmation – Didier Agani (désormais renommé “Psyche” dans le jeu – le papa de Blablaland, comme on l’appelait) lancera la première version du jeu en septembre 2004. Dès lors, le projet en impose par son identité cartoonesque et colorée, conservant l’aspect “plateforme 2D” de Super Mario, mais sans rien garder d’autre de son inspiration initiale.

Son chat, élément principal du site, permet à ses utilisateurs de dialoguer en direct sur une trentaine de maps différentes, au travers desquelles les “blablateurs” – le nom donné aux joueurs – naviguent à la recherche des spots les plus propices aux rencontres.

(c) NIVEAU 99 // L’une des “chat room” (ou lobby/salon) du jeu, vers 2015-2016. 

Comme des milliers d’autres, j’ai squatté les serveurs de Blablaland pendant des années sans réel but, si ce n’est rencontrer des inconnus. Et même sans forcément suivre l’actualité des mises à jour (les nouveaux mini-jeux, les nouvelles maps ou tenues), j’ai l’impression d’avoir exploré de fond en comble toutes les fonctionnalités de la plateforme.

Après quatre années de correctifs, d’ajouts et de polissage, la fine équipe entreprend de lancer la “V2” du jeu, marquant l’entrée de Blablaland dans une période d’essor qui durera pour les quatre années suivantes. Lors de l’année 2008, cette refonte générale a apporté de meilleurs graphismes, de nouvelles fonctionnalités, mais aussi de nouvelles maps au jeu, permettant d’accroître considérablement le nombre de blablateurs et la renommée du site.

(c) NIVEAU 99 // La page d’accueil du portail communautaire, en 2013.

Didier Agani évoque cette période de sa vie avec nostalgie et tendresse. Il se remémore la dose colossale de travail abattu toutes les nuits avec son ami Jérôme, à s’acharner entre le management du site, la programmation, la création visuelle et le marketing : “Quand j’allais me coucher vers cinq ou six heures du matin, je croisais mon père qui partait au travail et je me réveillais à son retour, quand j’entendais le portail de la maison s’ouvrir.”

Dans ce projet, ils ont tout imaginé et conçu eux-mêmes, jusqu’aux artbooks et aux produits dérivés. Le créateur se souvient d’ailleurs particulièrement du jour où le “fait maison”, leur marque de fabrique, a trouvé ses limites.

(L’une des rares archives de Didier Agani aux côtés d’un fan, à côté du stand de la Japan Expo.

“En ce sens, ‘Blablaland’ m’a appris énormément de choses, tant sur le métier de game designer, que sur ce que j’aimais faire, sur les réussites et sur les échecs… C’était le rush tous les jours, mais qu’est-ce que c’était bon. On a certainement gagné moins d’argent et fait les choses moins bien que ce que l’on aurait pu, mais on l’a fait avec amour et ça nous a laissé des anecdotes incroyables sur la débrouille”, ajoute-t-il.

Après encore six années de réussites, d’échecs et de problèmes à gérer, Psyche a annoncé, dans la stupéfaction générale des joueurs, son départ de Niveau 99 – le studio créé par le trio d’amis – amorçant le lent déclin de Blablaland jusqu’à sa fermeture le 12 septembre 2017.

La fin d’une époque

Didier confie n’avoir jamais vraiment évoqué les raisons de la fermeture du site et de son départ de l’équipe : “C’est vrai que ça s’est mal fini et qu’il m’a fallu longtemps pour fermer cette grande cicatrice, cette déception sur la fin. C’était long à digérer, mais je commence enfin à ne garder que les bons souvenirs.”

“Il y a deux choses qui se sont mélangées. La première est purement personnelle : après dix ans dans cette aventure, j’ai eu envie de faire autre chose, j’avais envie d’essayer d’autres trucs, des choses que je ne pouvais pas essayer sur ‘Blablaland’.

Pour être transparent, il y a aussi eu des problèmes entre les trois collaborateurs initiaux et des envies différentes, qui ne se retrouvaient plus. Notre relation était devenue un peu n’importe quoi et nos volontés, nos visions différentes de la communauté, s’entrechoquaient. Pour le reste, et le déclin du site après mon départ, je trouve ça quand même hyper dommage qu’ils n’aient pas réussi à l’entretenir, après tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’il s’est passé.

Avec le recul, je crois que l’une des plus grandes questions que l’on se pose lorsqu’on fait des jeux comme ‘Blablaland’, c’est : ‘À quoi [je] sers ?’ Même après des années, on a du mal à bien regarder en arrière. On est tenté de se dire qu’on a juste fait un tout petit truc dans son coin… mais au final, ça a marqué les gens. La preuve, on m’appelle encore en 2020 pour en parler. Je peux le dire aujourd’hui : ce projet aura certainement été l’un des plus importants de ma vie”, conclut-il.


Quels sont vos souvenirs sur Blablaland ? Avez-vous un petit message à faire passer au créateur ? Contactez-nous via hellokonbinitechno@konbini.com, nous serons heureux de vous lire !