Comment Habbo Hotel m’a appris à arnaquer mon prochain

Comment Habbo Hotel m’a appris à arnaquer mon prochain

Image :

(c) Habbo

photo de profil

Par Konbini

Publié le

À seulement 11 ans, j'avais réussi à amasser plusieurs centaines d'euros...

Habbo a marqué une petite partie de mon enfance. Une école de la vie qui m’aura enseigné la valeur de l’argent, de l’amitié, du mensonge et de la trahison, rien que ça. Elle m’en aura aussi beaucoup appris sur la nature humaine.

À voir aussi sur Konbini

Dans ce jeu Flash sur navigateur, vous incarnez (au présent, car le jeu est toujours en ligne) votre propre avatar, customisable au possible avec des éléments gratuits, mais surtout payants.

Pour faire simple, l’objectif est de s’y faire des copains et de l’argent virtuel – et ça, c’était mon truc – pour meubler votre propre appartement, afin d’y organiser jeux et événements.

Ci-dessus, l’un de mes anciens appartements sur l’un de mes comptes datant de 2011.

Le titre, disponible dès 2000 dans sa version finlandaise et depuis novembre 2004 dans sa version française, est édité par la société finlandaise Sulake Corporation. En 2012, à son âge d’or (avant son déclin brutal), il comptait plus de 273 millions de comptes enregistrés, et 5 millions de visiteurs uniques chaque mois. Succès énorme.

Habbo Hotel a fêté ses 20 ans d’existence il y a trois semaines, l’occasion pour moi d’y retourner et de prendre un grand bol de nostalgie. Une idée sympathique sur le papier, mais une expérience déprimante dans les faits, qui a fait remonter pas mal de souvenirs douloureux.

Bobba, drug and rock’n’roll

Pour jouer à Habbo Hotel, il faut avoir minimum 13 ans, mais comme la plupart de mes camarades de l’époque, j’y ai surtout joué avant l’âge légal, de mes 10 à 13 ans. C’était avant la sortie de Minecraft, qui m’a complètement fait déserter le jeu.

Les méfaits qui ont marqué mon passage sur Habbo Hotel ont été commis grâce à une arme sophistiquée, “Allopass”, un système de micropaiements par téléphone, rapide et pratique pour dépenser de l’argent réel ni vu ni connu, à l’aide de cartes prépayées. Tous ceux nés dans les années 1990 comme moi s’en souviennent encore.

Grâce (ou à cause) d’Allopass, j’ai déboursé une centaine d’euros en tout dans Habbo Hotel, pour m’acheter de nouvelles collections de meubles et faire du troc avec d’autres utilisateurs. Le jeu intègre un système de “titres” par abonnement : autrement dit, un moyen d’accéder aux classes dominantes dans le jeu. Un système vicieux qui fomentera mes premiers pas dans le banditisme numérique.

Le problème, c’est que je n’étais pas vraiment riche, et que je n’avais plus trop envie de dépenser l’argent de mes parents (qui n’étaient même pas au courant). Dès lors, j’ai tenté de comprendre l’économie du jeu pour y faire des bénéfices.

Il n’y a pas de petites économies…

La meilleure manière de se faire un capital de départ peut varier, mais l’une des plus efficaces était de se faire des amis riches et d’obtenir des cadeaux de leur part ou des conseils d’investissement. Oui, je suis devenu riche en commençant par me faire des potes riches. Ces nouveaux amis m’ont mis sur la voie de la vente de “mobis”, des mobiliers que les autres joueurs pouvaient acheter.

J’ai commencé par acheter des mobis en masse pour faire des économies d’échelle et les revendre ensuite à des acheteurs qui s’y connaissaient moins que moi. Ce qui m’a rapporté assez d’argent pour ouvrir mon propre casino. Jusque-là, rien de bien méchant. Juste du business avisé. C’est ensuite que tout a dérapé.

La configuration “classique” d’un casino, avec plusieurs croupiers devant cinq mobis “dés” qui serviront au jeu. (© Sulake)

Dans les casinos de Habbo Hotel, comme dans les vrais casinos, il y a des jeux de hasard. Le parieur mise des crédits avec une chance sur deux de doubler son pari. À la différence des vrais casinos, il y avait dans le jeu une faille béante : le croupier pouvait kicker le parieur hors du casino s’il gagnait.

Pendant quelques mois, donc j’ai dû arnaquer une bonne quarantaine de personnes. Quand elles venaient me voir, elles perdaient de 1 à 10 euros. Ce qui m’a permis d’engranger 3 000 crédits, une petite fortune équivalent à 300 euros.

Je n’étais pas le seul… Beaucoup d’utilisateurs avaient fait leur beurre en tirant le fil de la combine, puisqu’il n’y avait aucun contrôle. À l’instar de l’auteur de cette vidéo, qui était passé à un stade nettement supérieur :

L’interdiction des casinos dans le jeu (pour des raisons évidentes), ainsi qu’une sombre affaire de plaintes pour pédopornographie en 2012 ont mené à la désertification de la plateforme : c’était un lieu de tous les vices – le far west des collégiens, de moins en moins sécurisé pour les plus jeunes.

Les développeurs avaient bien essayé de relancer la machine en 2015, avec une version mobile du jeu, mais sans succès. Aujourd’hui, le jeu est presque vide, malgré un regain d’intérêt dû au confinement. D’un côté, je me sens terriblement coupable d’avoir été l’un des acteurs de ce déclin. De l’autre, j’éprouve une certaine satisfaction à avoir contribué à la chute d’un terreau virtuel propice au crime organisé.

Autre aspect et non des moindres : pour la première fois, je me suis senti puissant et respecté en un lieu de ce monde. Sensation aussi grisante que puérile, que je ne ressentirai plus jamais par la suite – sans aucun regret.

Les administrateurs du site ont bien tenté d’implémenter des nouveautés, mais le cœur n’y est plus : parmi ceux que j’ai rencontrés, mafieux ou non, tous regrettent la grande époque de 2010-2012, où Habbo Hotel était le petit jeu Flash le plus populaire au monde.

D’un point de vue strictement pécuniaire, c’est grâce à mon petit business de l’époque que j’ai pu économiser et m’acheter une PS3, pour découvrir des jeux un peu plus en accord avec mon jeune âge. J’ai aussi arrêté de mentir à mes parents, à qui j’ai fini par tout avouer de mon passé criminel.

Habbo Hotel m’aura donc inculqué l’art de l’arnaque. Ce talent, je sens que pourrais encore l’exercer aujourd’hui, mais mon éthique d’adulte n’est plus celle d’un enfant de dix ans. Et d’ailleurs, je n’ai jamais mis les pieds de ma vie dans un vrai casino.