Il est temps de rendre hommage aux “geeks de service” exploités par leur famille

Il est temps de rendre hommage aux “geeks de service” exploités par leur famille

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© Konbini techno / Getty

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Par Pierre Schneidermann

Publié le

Un papier engagé pour tous ceux qui appellent Orange, configurent les wi-fi et repêchent les mots de passe perdus.

Comme chacun le sait, les fêtes de fin d’année en famille sont de grands moments d’intensification relationnelle. Pour le meilleur (effusion des retrouvailles) et pour le pire (redoublement des tensions). Qu’il soit facile ou pénible à endosser, le rôle de chacun au sein de la cellule s’en trouve renforcé.

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Quand, au beau milieu des fêtes, ma grand-mère m’a supplié de lui régler la sonnerie de son téléphone fixe et de la connecter en urgence sur son compte Orange dont le cloud (“Ça veut dire quoi, clouuud ?”) allait bientôt fermer, quand ma mère m’a imploré de reconfigurer les deux boîtes mails de son iPhone et de connecter la nouvelle imprimante sur le réseau wi-fi, quand mon frère m’a parlé de ses problèmes de disque dur externe, alors j’ai compris une chose : toute ma vie ou presque, on avait exploité mes modestes connaissances en informatique acquises sur le tas.

La révélation : je suis le geek de service

Dans la foulée, j’ai essayé d’esquisser la genèse de cette étiquette. Tout a probablement commencé l’année de mes 14 piges, où j’ai découvert le monde de l’ordinateur personnel, où j’ai eu la bonne et mauvaise idée de triturer OS et matériel dans tous les sens. Cette année-là, je crois bien que je suis devenu le “geek de service” de la famille, rôle qui allait encore me coller à la peau vingt ans plus tard, fin 2020.

Mettre des mots sur un phénomène, c’est bien, savoir qu’il est communément partagé, c’est encore mieux. Quand j’ai exposé cette théorie à mes collègues geeks de Konbini techno, ils se sont tout de suite reconnus. Des gens que je ne connais pas ont aussi répondu à l’appel à témoignages que nous avons lancé sur les réseaux sociaux.

Ce qui saute aux yeux chez tous les geeks de service de France, c’est d’abord l’incroyable diversité des tâches.

Configurer le wi-fi, le Bluetooth et les comptes Netflix

Aucun d’entre eux n’échappe au grand classique, le pur SAV technique. Cela consiste à réparer le matériel défectueux, installer le nouveau, faire les mises à jour et, surtout, joindre les services clients des FAI quand la box ne marche pas.

Des tâches fastidieuses et répétitives qui sauvent pourtant des vies. Pour entrer dans le détail, les missions suivantes sont celles qui semblent revenir le plus souvent : associer les appareils en Bluetooth, installer Netflix pour la famille et configurer le nouveau routeur wi-fi.

Reconnaissons-le, les tâches susnommées ne sont pas forcément simples et nous comprenons ces appels à l’aide, mais il arrive que certaines demandes deviennent dégradantes : il faut aider aux copier-coller (!), aux captures d’écran, aux démarches administratives en ligne et aux récupérations des mots de passe perdus ou oubliés. Choses que tout le monde devrait savoir faire.

“Je suis même le community manager de ma maman”

Le geek de service, s’il prend son job à cœur, est aussi le garant de l’hygiène numérique de sa famille : il met en garde contre les mots de passe trop simples, les spams, les phishings et les arnaques en ligne en tout genre. Au début de sa carrière d’aidant, il sera très pédagogue. Il perdra toutefois sa patience quand, au bout de semaines, de mois ou d’années d’efforts, les conseils ne voudront pas rentrer.

Dans certains cas, il faudrait sérieusement songer à rétribuer le geek de service. Je pense, par exemple, à mon collègue Benjamin, qui m’avoue, sans oser prononcer le verbe, que sa mère l’exploite éhontément : tel un vrai community manager, il se retrouve à gérer la page Facebook professionnelle de sa mère en suivant toutes ses exigences maniaques. Il n’est probablement pas le seul.

Les traumatismes

À un moment de sa carrière, chaque geek de service semble avoir subi quelques traumatismes. Une autre collègue, Donnia, ne supporte vraiment pas que les membres de sa famille perdent tout le temps leurs mots de passe. Désormais, elle les note sur un calepin pour ne pas replonger dans la spirale des récriminations. Pas mieux du côté d’Ilyess, un lecteur qui, un beau soir à 22 heures, a été sommé par sa mère d’aller aider la voisine (alors qu’il jouait devant son ordi), voisine qui pensait avoir perdu sa connexion 4G alors qu’il n’en était rien. Déplacement contraint et inutile.

Si je leur ai posé la question du traumatisme, c’est parce que j’en trimballe un, moi aussi, raffiné et tortueux : depuis des années, à chaque changement de téléphone portable, mon père me demande systématiquement de lui retélécharger les mêmes sonneries (dont un jingle SNCF, c’est dit) et de les recalibrer de manière identique, à la seconde près. Un moment terriblement déplaisant, surtout quand on passe d’iPhone à Android une année, le contraire celle d’après. Un éternel retour que Nietzsche n’aurait pas renié.

De l’ingéniosité et du plaisir

Certaines des personnes interrogées ont trouvé des astuces pour se délester de futurs fardeaux. Un lecteur, Tristan, a fait prendre des notes à son entourage pendant ses interventions et cela semble marcher. Level supplémentaire chez mon collègue Benjamin, qui a carrément installé un logiciel de prise en main à distance sur l’ordi de sa mère pour éviter des coups de fil de dépannage interminables.

Loin de moi l’idée de vouloir dépeindre un tableau entièrement sombre. Les geeks de service interrogés sont globalement plutôt contents d’aider leurs proches parce que ce sont, au fond, des personnes dévouées et aimantes. Un autre lecteur nous explique aussi que ce genre de dépannages crée du lien social avec ses grands-parents. Je confirme : j’aime aider ma grand-mère quand je lui rends visite et je suis sûr qu’il règne aujourd’hui une complicité supplémentaire étrangère à mes frères et sœurs.

Gare à la charge mentale !

Ceci dit, tous avouent, sans exception, être soûlés dès lors qu’on les sursollicite. Ils détestent aussi ne pas réussir à résoudre les problèmes après des heures d’errements. Ils aiment encore moins se taper les récriminations de la famille en cas d’échec.

À ce titre, une grosse pensée pour le frérot geek Ilyess, qui nous explique vouloir se lancer prochainement dans des études en réseau et télécoms et dont la famille, en cas d’échec de dépannage, n’hésite pas à dire : “QUOI ? Tu veux étudier l’informatique et tu ne sais pas réparer ça ?” Chère famille d’Ilyess, ces choses ne se disent pas, on ne culpabilise pas de la sorte un geek de service, fût-il un pro en devenir.

Bref. Après ces fêtes de fin d’année, il fallait que les choses soient dites. Comme tout rôle, celui de geek de service au service de la famille a ses avantages et ses inconvénients, ce n’est pas la question. Que ce statut existe, c’est un fait et une nécessité.

Mais, de grâce, que l’on reconnaisse enfin l’existence de cette vocation informelle en l’ébruitant. Que tous les geeks de service de France et du monde sachent qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils rendent, clic après clic, victoire après défaite, leurs foyers un peu plus fonctionnels, voire harmonieux.

Pour nous écrire : hellokonbinitechno@konbini.com.