Les “Afghan Dreamers”, la robotique au service de l’émancipation

Les “Afghan Dreamers”, la robotique au service de l’émancipation

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Par Pierre Bazin

Publié le

Des jeunes ingénieures en devenir voient aujourd’hui leur avenir menacé.

Depuis la prise de Kaboul par les talibans le 15 août dernier, nos premières pensées ont été pour les femmes afghanes qui, depuis vingt ans, avaient retrouvé certaines libertés : celles d’étudier, de sortir, ou même de faire de la musique et du sport. Quelques semaines plus tard, il nous paraît indispensable de continuer à faire entendre ces femmes, qu’elles soient ici ou là-bas : leurs combats, leurs espoirs et leurs réalités.
Une journée en partenariat avec France Inter.

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Fondée en 2017, les Afghan Dreamers incarnent le renouveau de la société afghane et un espoir pour de nombreuses femmes. Ce sont douze adolescentes, des jeunes femmes toutes nées dans la première ère post-taliban (après 2001) biberonnées aux smartphones et à Internet.

L’initiative a été lancée par Roya Mahboob, première femme afghane PDG en tech, également fondatrice de l’organisation Digital Citizen Fund. Dans un pays où deux-tiers de la population (27,5 millions de personnes) a moins de 25 ans, ces jeunes femmes incarnaient un nouvel espoir dans une société au passé rongé par le fondamentalisme religieux et le patriarcat.

Un palmarès qui force le respect

En 2017, la première équipe des Afghan Dreamers participe au FIRST Global Challenge, une compétition internationale à Washington DC, considérée comme les olympiades de la robotique. Après s’être vu refuser leurs visas deux fois en traversant des zones contrôlées par les talibans, ce sera finalement l’intervention in extremis d’officiels américains – dont le président de l’époque, Donald Trump – qui leur permettra de venir défendre leurs projets aux États-Unis.

Malgré la confiscation d’une grande partie de leur matériel, nécessaire à la fabrication de la robotique, les jeunes Afghanes défendront farouchement leurs projets et se verront récompensées d’une médaille d’argent pour leur “courageuse réalisation”. Une semaine après leur départ, le père de la capitaine de l’équipe Fatemah Qaderyan sera tué dans un attentat-suicide.

Quelques mois plus tard, trois des Afghan Dreamers participeront à un nouveau concours au Robotex Festival en Estonie. Elles obtiennent cette fois le premier prix avec leur robot alimenté par énergie solaire, destiné à assister les fermiers dans leur travail.

Pendant plusieurs années, les jeunes femmes iront de pays en pays, de compétition en compétition, présentant des robots toujours plus ingénieux. En 2020, même au cœur de la crise du Covid-19, les Afghan Dreamers brillent. Tandis que leur pays natal peine à endiguer le virus, elles conçoivent un système révolutionnaire de ventilation pour les hôpitaux, fabriqué à partir d’anciennes pièces de voitures Toyota.

Soutenu par l’Unicef, le projet a abouti en juillet 2020. Les ventilateurs utilisés en unité de soins intensifs coûtent environ 50 000 dollars, ceux des Afghan Dreamers seulement 500 dollars. Un tour de force rendu possible par l’ingéniosité et l’art de la débrouille de ces jeunes ingénieures.

Le retour des talibans est un “nouveau chapitre”, pas une fin en soi

Interviewées par la BBC, Ayda (17 ans) et Somaya (18 ans) racontent le calvaire de la fuite de Kaboul, des images de chaos qui les marqueront toute leur vie, et parlent de leurs familles et amies laissées sur place. Ce n’est que trois jours après l’invasion des talibans que les deux jeunes femmes pourront fuir le pays dans un vol affrété par le gouvernement qatari pour Doha, la capitale.

Depuis, le nouveau gouvernement taliban à Kaboul a annoncé qu’il autoriserait les femmes à aller à l’université. Toutefois, les programmes enseignés devront bien évidemment rentrer en concordance avec les lois islamiques mises en place. La fondatrice Roya Mahoob garde espoir au micro de la BBC :

“C’est un nouveau chapitre […]. Je sais que ça va être aussi difficile que stimulant. Mais cela ne veut pas dire que nous devons abandonner.”

La force de ces jeunes femmes vient, selon la PDG, de leur jeunesse. Une jeunesse qui, contrairement à celle des années 1990, n’a pas subi les oppressions du premier gouvernement taliban. Une jeunesse qui a vu vingt ans de progrès pour la condition et l’émancipation des femmes de tout le pays. Une jeunesse qui reste encore remplie d’espoir. Ayda a par exemple exprimé son envie de créer sa propre entreprise pour développer des programmes axés sur l’intelligence artificielle.

Raya Mahboob prévoit de rapatrier un maximum de jeunes femmes des Afghan Dreamers pour qu’elles puissent continuer leur études à Doha. Certaines membres de l’équipe ont néanmoins choisi de rester en Afghanistan pour aider à la reconstruction sur place. D’autres doivent aussi convaincre leur famille de les laisser partir, tout en gardant en tête cette crainte de l’abandonner aux mains du régime des talibans.

Mahboob lance donc un appel aux donations, aux opportunités de bourses scolaires. “Ces jeunes femmes ont un rêve… nous avons hâte de les voir dans les meilleures universités du monde.”

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