Neurosciences : l’histoire de l’homme qui ne reconnaissait plus les chiffres

Neurosciences : l’histoire de l’homme qui ne reconnaissait plus les chiffres

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Crédits : SCHUBERT ET AL., PNAS

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Par Victoria Beurnez

Publié le

Et qui a permis aux scientifiques de mieux comprendre la conscience.

Aujourd’hui, on va discuter neurosciences et conscience profonde. Dans un article de la revue Science, il est fait état d’un cas vraiment étrange. Celui d’un homme qui, soudainement, s’est mis à ne plus comprendre les chiffres. Pour les lettres, aucun problème. Mais les chiffres sont devenus, pour lui, des signes informes et hors de tout ce qui est compréhensible pour son cerveau.

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Mentionné sous le pseudo RFS et géologue de formation, cet homme a commencé à ressentir vers l’âge de 60 ans quelques soucis : des tremblements, des amnésies temporaires ou encore de récurrentes difficultés à marcher.

Comme l’explique Science, les médecins lui ont découvert une maladie neurologique appelée le syndrome corticobasal, qui s’apparente à une rare forme de la maladie de Parkinson. En plus de l’affecter physiquement, le syndrome, qui détruit des cellules du cerveau, a commencé à modifier en profondeur sa perception des chiffres.

À tel point qu’aujourd’hui, RFS n’est tout simplement plus en mesure de les comprendre. Au quotidien, c’est un calvaire : comment vivre tranquillement lorsqu’on ne peut plus déchiffrer les prix, les panneaux de limitation de vitesse, ou même un numéro de chambre d’hôtel ? Son problème ne concerne que les chiffres allant de 2 à 9 : bizarrement, 0 et 1 ne lui ont jamais causé de souci. Pour pouvoir continuer à travailler, RFS s’est développé son propre code numérique, avec des signes qui étaient à sa portée : il utilise ⌊ pour 2, ⌈ pour 8, etc.

Il est devenu, malgré lui, l’objet d’études de nombreux chercheurs en neurosciences. En 2011, confié à une équipe de la John Hopkins University, son cas a été étudié sous la tutelle de Michael McCloskey, spécialisé dans l’étude des sciences cognitives (celles qui touchent aux mécanismes de la pensée et du traitement de l’information dans le cerveau).

“Une image brouillée”

C’est dans ce cadre que l’essai du “8” a été réalisé, et dont le rapport a été fait par l’équipe. Celle-ci, composée de McCloskey et deux de ses anciens étudiants, a proposé à RFS de se refamiliariser avec ce chiffre, en lui mettant à disposition un gros huit en mousse, en vain : “L’équipe espérait que toucher le chiffre aiderait RFS à le voir, mais non. Il sentait les courbes du chiffre, mais son image demeurait brouillée, probablement parce que le cerveau met la priorité sur la vue plutôt que les autres sens, selon l’un des étudiants.”

Voici ce qui s’est passé quand RFS a tenté de reproduire le dessin du 8 :

SCHUBERT ET AL., PNAS,

D’autre part, Science met l’accent sur le fait que ces expériences – car il y en a eu plusieurs — ont été relativement désagréables pour RFS. Malgré toute sa motivation, la désorientation procurée par l’expérience et le fait de ne plus comprendre ont été très déplaisants psychologiquement pour lui.

À l’issue de ces tests, le trio a pu en conclure que RFS ne souffrait pas d’un problème de vision, mais d’interprétation. “Dès que son inconscient comprenait qu’il s’agissait d’un chiffre, plus rien n’allait”, explique la revue ScienceLes chercheurs ont donc dû s’intéresser à un nouveau champ d’étude, celui de la conscience profonde.

Le fossé entre la conscience et la prise d’information

Ils lui ont présenté des chiffres et des lettres avec de petits dessins de visages dessus, puis l’ont relié à un électroencéphalogramme (EEG). Pourquoi ? Lorsque l’on identifie un visage, notre cerveau produit une vague, appelée N170, qui est caractéristique de la reconnaissance de visages humains.

Ainsi, lorsque les lettres lui étaient présentées, l’électroencéphalogramme (les capteurs posés sur son crâne pour mesurer l’activité du cerveau) a prouvé qu’il voyait les visages grâce à la N170 – chose qu’il a lui même confirmée.

En revanche, il lui a été impossible de distinguer le moindre visage sur les chiffres ; pour lui “tout ressemblait à des spaghettis”. Et pourtant, l’EEG a bien enregistré la vague N170 liée à la reconnaissance de visage !

Une conclusion s’impose : si RFS n’a pas été capable d’identifier quoi que ce soit, son cerveau, lui, l’a fait inconsciemment. Autrement dit, son inconscient reconnaît les chiffres (comme les petits visages), mais son cerveau ne sait pas les interpréter.

Aujourd’hui, ses conditions de santé se sont gravement détériorées, le privant quasiment de parole et de mobilité. Cependant, son cas unique a permis de mieux comprendre les neurosciences. Dans l’étude de la conscience, de sa richesse et de ce que l’humain doit mobiliser pour y avoir recours, mais aussi de son indépendance avec le traitement brut de l’information par le cerveau.

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