Pourquoi ceux qui vivent avec des écrans pétés sont des génies incompris

Pourquoi ceux qui vivent avec des écrans pétés sont des génies incompris

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Par Pierre Schneidermann

Publié le

Hommage à ceux qui refusent le diktat de l’obsolescence et se compliquent la vie.

En 2007, Steve Jobs a révolutionné la téléphonie mobile en dégainant l’iPhone, le tout premier des smartphones. Savait-il seulement que ce nouvel objet, avec un gros écran tactile, allait générer au passage un gros dommage collatéral, le risque permanent de péter son écran en faisant tomber son appareil ? Risque quasi inexistant avec les téléphones du monde d’avant – le 3310, on pense à toi.

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Depuis l’iPhone, des centaines de modèles de smartphones sont sortis et des millions d’écrans tactiles ont été bousillés à cause des négligences de leurs propriétaires. Des millions de traumas, que chacun a dû gérer à sa manière.

J’ai récemment été sensibilisé au problème en rangeant mon téléphone à côté de la poche de mon jean. Mon Pixel 3 était déjà tombé des dizaines de fois et avait tenu bon jusque-là. Cette fois-ci, le choc sur le bitume ne l’a pas épargné : des grosses fêlures dans les coins supérieurs l’ont défiguré. Un crève-cœur.

Quand surgit cet incident très très désagréable, il y a trois comportements possibles : ou bien on se procure fissa un nouveau smartphone (neuf ou seconde main), ou bien on va chez un réparateur pour changer l’écran, ou bien, après mûre réflexion, on décide de le garder et d’apprivoiser ses fêlures.

N’ayant jamais fait l’expérience de l’écran pété, j’étais persuadé que j’allais me ruer sur l’option 1 ou 2. Au bout de quelques heures, je me suis rendu compte que tout marchait encore parfaitement. Mon Pixel 3 était devenu tout moche mais il resterait mon fidèle compagnon.

Quand on vit avec un écran pété, il se passe une chose étonnante : on commence à s’intéresser aux écrans pétés des autres – alors qu’avant, on ne les remarquait pas (pire, on les moquait). On compare les brisures et les traumas, et chacun y va de sa petite anecdote (quand et comment je l’ai pété, depuis combien de temps ça dure, comment je le vis au quotidien, etc.).

Quand deux propriétaires d’écrans pétés se rencontrent naît une familiarité étrangère aux propriétaires d’écrans intacts. Exactement comme deux propriétaires de chiens qui se croisent sur un trottoir et commencent à parler race, modèles de laisse et croquettes, laissant sur la touche le reste de l’humanité.

Vivre avec son écran pété est à la fois un état d’esprit et une philosophie du quotidien : on refuse les facilités que la vie nous sert sur un plateau ; on veut faire durer son matériel le plus longtemps possible pour tromper le diktat de l’obsolescence ; on apprend à se dégager du regard désapprobateur d’autrui. Assurément des valeurs fortes qui nous poussent à affirmer que, dans le fond, ceux qui vivent avec des écrans pétés sont tous un peu frères et sœurs.

Dans cette grande famille, il y a les deter de chez deter. Les vrais génies. Ceux chez qui le bris de la vitre a désactivé une zone tactile de l’écran. Ces gens-là trouvent des techniques improbables pour contourner les obstacles, des techniques auxquelles même les ingénieurs d’Apple n’auraient jamais pensé. Ces gens-là se compliquent la vie et perdent du temps mais ils persistent et signent. Ces gens-là sont nos modèles, des grands frères et des grandes sœurs, des dieux du système D qui mériteraient à eux seuls des tribunes TEDx pour nous inspirer tous.

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