Qui se cache derrière Jitsi, l’appli de visio recommandée par Snowden ?

Qui se cache derrière Jitsi, l’appli de visio recommandée par Snowden ?

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Par Benjamin Bruel

Publié le

Discussion avec le patron de Jitsi, un ovni open source dans le monde de la visioconférence, recommandé par Edward Snowden.

Nous sommes tous un peu fatigués des discussions et des apéros à distance et à rallonge, après plus de deux mois passés enfermés. Pourtant, les us et coutumes des entreprises évoluent, le télétravail s’ancre dans les mœurs et pourrait même bien y rester définitivement. La place prise par les logiciels de visioconférence durant le confinement aussi.

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La plateforme de visioconférence Jitsi, dont il est question aujourd’hui, a les mêmes atours que nombre de services alternatifs du monde de la tech. Comme un Brave face à un Google Chrome, comme un Signal face à WhatsApp et autres Messenger, il a le rôle de l’outsider open source et sécurisé dont on entend peu parler, mais qui nous veut du bien. Brève présentation, en compagnie de son auteur, Emil Ivov.

From Strasbourg to Austin en version open source

Jitsi voit le jour en 2003, alors que Emil Ivov, originaire de Bulgarie, fait son master du côté de Strasbourg. “Le thème des communications parallèles sur Internet, à l’époque, ça nous passionnait”, nous glisse-t-il lors d’un entretien à distance et en français.

D’emblée, l’open source s’impose. Pour les non connaisseurs des chemins obscurs de l’informatique, cela veut dire que le programme peut être lu, modifié et redistribué par tout le monde. Pourquoi ? “Pour commencer à faire mes preuves et m’en servir comme une bonne ligne sur le CV”, au départ, nous répond sans détour Emil Ivov. “Je suis aussi passé par le stade, un peu religieux, où je pensais que le monde serait un meilleur endroit si tout était libre.”

Avec le temps, Jitsi se professionnalise et gagne un peu en notoriété. La communauté se développe, les gens s’en emparent pour leurs projets. Dès lors, Emil Ivov crée une boîte, avec une collègue, pour faire passer Jitsi à un autre stade.

L’entreprise est désormais localisée à Austin et fait partie de 8×8, une société de cloud et de services téléphoniques. “Quand on crée quelque chose, qu’on s’en sert nous-mêmes plus que ça devient utile pour d’autres, c’est un super sentiment. En particulier pour un étudiant qui créait surtout des choses qui ne servent à rien”, continue Emil Ivov.

Avec la professionnalisation de Jitsi, Emil Ivov trouve le véritable intérêt de l’open source : celle de pouvoir s’adapter à tous types de besoins et de collaborations, grâce aux termes de la licence. C’est une question de fluidité, puisque quiconque peut s’emparer de l’outil. L’équipe de Jitsi est ensuite là pour répondre aux besoins précis de ses nouveaux partenaires, desquels l’organisation tire ses revenus. La deuxième raison : si vous voulez un environnement sécurisé, “l’open source est presque une obligation”. Nous y venons.

Emil en pleine forme, sur Jitsi.

Les arguments de Jitsi

Jitsi se divise en deux branches : le framework open source, accessible et utilisable pour les entreprises et organisations et Jitsi Meet, née en 2011 à la faveur de WebRTC, une autre infrastructure logicielle open source, créé par Google pour faciliter les communications via navigateur Web. C’est celui-ci qui nous intéresse, puisqu’il est accessible à chacun, pour tous les usages, gratuitement.

Tandis que Zoom, l’appli qui a su tirer son épingle de la pandémie, a été largement critiqué pour ses pratiques en termes de respect de la vie privée et ses obscures CGU, Jitsi nous propose un logiciel accessible sans inscription et sans client à télécharger sur sa machine.

On arrive sur le site et on lance une conversation qui crée automatiquement une adresse URL à partager. Pas besoin de créer de compte, simplement de nommer sa visioconférence. L’idée est de s’effacer le plus possible des yeux des utilisateurs, tout en proposant un outil qui se prend instamment en main.

“On ne sait pas qui vous êtes, ça ne nous intéresse pas. Ensuite, on a ajouté des fonctionnalités de cryptage de bout en bout. Même nous, en tant que fournisseurs du service, on n’est pas capables de venir voir ce qu’il se passe et se dit dans la conférence”, explique Emil Ivov.

Un bouton permet en effet d’ajouter un mot de passe et de crypter la conversation de bout à bout. Elle peut l’être lorsqu’il s’agit de réunions à deux utilisateurs seulement, mais au-delà de deux, les choses sont encore à améliorer. Pourquoi ? Parce que le WebRTC de Google pose des problèmes techniques à ce niveau-là, mais c’est l’un des challenges à venir de Jitsi.

Une version payante de Jitsi, commercialisé par 8×8 et à télécharger, offre cette possibilité. C’est le deuxième pan du modèle économique de Jitsi. Au total, ces deux “versions” de Jitsi sont utilisées par 20 millions de personnes par mois. Peu, vis-à-vis des 300 millions revendiqués par Zoom.

Comme ailleurs, il est possible d’enregistrer sa conversation, changer son fond, muter les participants, etc. À l’avenir, outre le chiffrement de bout à bout sur les réunions à de nombreux participants, ce sont plus de fonctionnalités que voudrait ajouter Emil Ivov. “On cherche aussi à aider les gens avec l’organisation de leurs meetings. Chose qui va devenir encore plus intéressante dans le futur. On va chercher à ce que la plateforme aide, structure, les meetings.”

Jitsi avait pris un coup de popularité en 2017, à la faveur d’un article sur Edward Snowden dans Wired, lui-même utilisateur du service. Vous n’êtes pas Snowden et moi non plus. Pourtant, si la sécurité de nos appels n’empêche pas la fluidité de nos conversations, pourquoi s’en priver ? Ne laissons pas les Brave, Signal et Jitsi à la marge.