“Je veux créer le Fortnite de l’éducation”

“Je veux créer le Fortnite de l’éducation”

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(c) PowerZ

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Par Pierre Schneidermann

Publié le

Voici le nouveau projet très ambitieux d'Emmanuel Freund, l'ancien boss de Shadow.

Emmanuel Freund est un homme ambitieux. Il a d’abord tenté de révolutionner l’informatique, en cocréant puis en dirigeant Shadow, entreprise qui veut devenir leadeuse du cloud computing dans le monde – nous en avions parlé ici. Par “tenter”, on ne veut pas dire que Shadow s’est écroulé et n’arrivera pas à ses fins, non. Cela veut simplement dire que si cela se fait, ce sera sans Emmanuel Freund, qui a quitté le navire en avril dernier. Il l’avait expliqué ici.

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À peine quelques mois plus tard, voilà qu’il déboule en fanfare avec un autre projet démiurgique, au croisement du jeu vidéo et de l’éducation. Ce futur produit, baptisé PowerZ, sera “une expérience d’apprentissage innovante à la croisée du réel et du virtuel regroupant une communauté de milliers de parents et d’enfants”, dixit le communiqué de presse.

PowerZ vient de lever 3 millions d’euros. Intrigués, nous avons posé quelques questions à Emmanuel Freund.

Pour des raisons de clarté, l’interview téléphonique a été éditée.

Konbini Techno | Comment est née l’idée de PowerZ ?

Emmanuel Freund | C’est arrivé petit à petit, à partir d’un double constat. D’abord, j’avais l’impression que le futur n’allait pas complètement dans la bonne direction et n’avait pas beaucoup de sens à cause de l’hégémonie des GAFAM. À côté de ça, j’ai constaté que, dans le milieu de l’éducation, les choses n’avaient pas changé depuis longtemps, surtout dans la tech, où l’on a vu naître plein d’applis qui ne se sont jamais imposées.

J’ai deux enfants et, comme parfois je suis un mauvais père, je les mets devant une appli éducative. Ça ne marche pas vraiment, alors que quand je les mets devant un jeu ou une série pendant deux ou trois heures, je ne les entends plus.

L’idée de PowerZ, ce n’est pas de créer une énième appli, mais un “monde éducatif”, un endroit où les enfants auront vraiment envie d’aller, où ils auront envie d’apprendre, avec plein de domaines de savoir en plus du français et des maths : l’astronomie, la programmation, le langage des signes, la poésie, etc. Avec une très grande liberté : ils pourront aller où ils veulent.

OK, ce ne sera pas une appli, mais ce sera quoi ? Un jeu, un jeu éducatif, un “monde éducatif” ?

On ne veut pas faire un “jeu éducatif”. Ce sera un jeu, avec de vrais principes et mécaniques que l’on retrouve dans le jeu vidéo : la customisation à la Animal Crossing, la collection à la Pokemon Go et le “grinding” comme dans World of Warcraft, où tu vas miner des dizaines de milliers de fois car tu as une récompense.

Malgré tout ça, je préfère employer le terme de “monde éducatif”, notamment pour tous ceux qui ne connaissent pas les jeux vidéo ou qui ont des tonnes de préjugés. C’est aussi pour ça qu’on utilise l’expression “Fortnite de l’éducation”, pour que les gens accrochent vite, alors que ça ne sera pas du tout comme Fortnite.

Alors on peut dire que ce sera le nouvel Adibou ?

Adibou a marqué énormément de gens, le mec [Roland Oskian, ndlr] a fait un truc dingue. Je considère qu’il n’y a rien qui a été fait depuis. Malgré tout, Adibou n’est pas la bonne comparaison, car je pense que la télé ou les vrais jeux vidéo, c’est mieux qu’Adibou, on veut y rester plus longtemps. On veut d’autres mécanismes. Je préfère parler d’un autre jeu qui m’a inspiré : L’Odyssée des Zoombinis. C’est un jeu éducatif. Il ne se dit pas éducatif mais, au fond, il l’est.

XXIe siècle oblige, l’intelligence artificielle (IA) sera au centre de PowerZ. C’est-à-dire ?

Le premier but de cette IA, c’est qu’elle pourra être comme un prof particulier pour un enfant. Elle pourra repérer ses facilités, ses envies, ses problèmes son temps de concentration, etc.

Dans un second temps, elle permettra de “parler” avec les parents, sous forme de petite appli qui leur fera des comptes rendus. Cela permettra ensuite aux parents de réorienter le jeu selon les résultats de l’enfant, car je considère que ce sont les parents qui savent le mieux. Si les parents ne savent pas, alors moi non plus je ne sais pas encore ce que l’on fera, car il y a plein de théories de l’éducation qui s’affrontent.

Pour développer une IA, il faut avoir beaucoup, beaucoup de données, notamment sur le comportement des enfants. Comme vous allez faire ?

Le développement du jeu va durer au moins quatre ans, avec une communauté de parents et d’enfants qui vont nous permettre de récolter toute cette data. Il nous faudra des milliers d’enfants qui joueront des centaines ou des milliers d’heures. Entre-temps, on analysera et adaptera ces résultats avec des neurologues et professionnels de l’éducation.

On ne sait pas encore du tout ce que ça va donner : est-ce qu’il y a une éducation universelle ? Ou que des spécificités ? Pour l’instant, il n’y a que des croyances, mais pas de preuves. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de mieux comprendre comment les enfants apprennent.

Qu’est-ce qui nous dit que PowerZ ne va pas donner un serious game chiant ?

On ne va pas fabriquer un jeu pendant quatre ans et voir, à la fin, que c’est chiant. En janvier 2021, il y aura une première version alpha avec des testeurs. En septembre 2021, une bêta ouverte à tout le monde. On attendra jusqu’à ce que ce soit bon. Si ce n’est pas quatre ans, ce sera dix ans s’il le faut. Le principal, c’est le voyage dans l’éducation qu’on va faire.

Vous voulez faire concurrence à l’Éducation nationale et à la transmission humaine en général ?

On ne remplace surtout pas l’école, ni les cours des parents, on remplace juste le moment où l’enfant à une heure ou deux heures à passer devant une série ou un jeu vidéo.

Paradoxalement, ça ne va pas renforcer la place de l’écran ?

Oui, il y aura de l’écran, mais on veut surtout que ça continue hors de l’écran. Mettons qu’il y ait un concours de poésie dans le jeu. L’enfant devra en composer son poème et aller le lire à ses parents. Les parents pourront ensuite déclencher une récompense, comme la collection ou la customisation de l’habitat.

Quid des données personnelles ?

On veut faire un business model vertueux sans s’emmerder à faire du “data-mining”. Tout le fonctionnement des algorithmes sera transparent, avec en plus notre communauté derrière.

Il y a un problème avec notre système éducatif aujourd’hui ?

J’ai l’impression que les enfants ont toujours plein de solutions pour tout, même absurdes, pour résoudre tout type de problèmes. À partir de 18 ans, ils se mettent plein de barrières. Le vrai but de PowerZ, c’est leur donner confiance dès le départ et qu’ils apprennent à allier leur aptitude avec leur passion. On veut les “éveiller”.

Je constate aussi que les inégalités se creusent : de plus en plus de parents issus des milieux aisés et attachés au système public, dont je fais partie, mettent leurs enfants dans le privé pour qu’ils étudient dans de meilleures conditions. Cela creuse un fossé avec les familles défavorisées. Là, je pense que PowerZ peut jouer un rôle…

À quoi ressemble l’équipe ?

Pour l’instant, on est sept, donc cinq anciens de Shadow. D’ici janvier/février pour l’alpha, on veut être 12/13. D’ici la bêta, une trentaine. On ne veut pas grossir trop vite.

Quels sont les points communs entre Shadow et PowerZ ?

Les points communs : c’est un projet extrêmement ambitieux qui veut avoir un impact et qui veut réunir des gens autour de soi, on ne veut pas le faire seuls, mais avec les parents, les enfants, les professionnels de l’éducation, etc. Je vais le dire très naïvement : on veut inventer un monde tous ensemble.

La grande différence, c’est que le projet touche à beaucoup plus de points. Shadow, ça restait de la tech pure, là, c’est un sujet qui parle à tout le monde car l’éducation est un sujet qui interpelle et qui touche plein de parties de la société.

Franchement, est-ce que ce projet n’est pas trop ambitieux ?

Je ne fonctionne qu’au rêve. Je veux faire participer des gens à ce rêve. Les gens ont besoin d’un réel avec de l’imaginaire dedans, c’est la seule manière de faire que je connais.